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Article Continuité : le défi de l'enseignement à distance

27.05.2020

Francesco M. Bucciarelli avatar. Francesco M. Bucciarelli

Introduction:

Le vendredi 13 mars dernier était proclamée une mesure encore inédite pour l’école obligatoire telle qu’on la connaît : l’arrêt total des cours présentiels et l’instauration d’un enseignement à distance pour les élèves du pays tout entier. Dans le chaos de cette restructuration à large échelle, il a fallu faire face à nombre d’interrogations : comment opérer dans un contexte aussi étrange que celui-ci ? Comment faire face à ces nouveaux défis – bien que temporaires – tant pour les enseignants que pour les élèves ? Quelles seront les conséquences pour le futur de l’année scolaire 2019-2020 ?

Pour ma part, ces questions furent notamment discutées avec ma Praticienne formatrice (que je nommerai "PraFo" pour le reste de cet article), sans pour autant pouvoir y répondre très clairement, tant la situation est nouvelle pour le corps professoral. En effet, je suis dans mon deuxième semestre de Stage A, actuellement au collège du Léman, à Renens, et je suis, en temps normal, chargé du programme de deux périodes hebdomadaires, ainsi que de participer à toutes les périodes de Français d’une classe de 12ème RAC (7 périodes).

Un cadre modifié par la situation COVID-19

Dans ce nouveau contexte du confinement, ma PraFo et moi avons organisé mon implication dans le stage de la manière suivante : chaque semaine il me fallait produire des exercices divers (littérature, grammaire, orthographe, etc.) ainsi que leur corrigé, que je déposais ensuite sur la plateforme à disposition des élèves Team Up.
De plus, il me fallait organiser différentes visioconférences, sur Zoom avec les élèves de la classe (fig. 1), notamment pour épauler ma PraFo dans les tâches administratives et prendre en main la correction de certains exercices.

Fig. 1 : Capture d'écran d'une séance de visionconférence avec PraFo et élèves de la classe 12RAC1/2 du Collège du Léman (Renens).


Somme toute, si les modalités de mon stage restaient relativement similaires en termes de travail à fournir, la forme de mon enseignement a été brutalement et sensiblement modifiée : plus de cours présentiels, travail à la maison pour les élèves comme pour les enseignants, difficulté à atteindre certains membres de la classe, et j’en passe ; formateurs et formés étaient séparés par cette nouvelle « distance pédagogique » et le défi était de pouvoir l’apprivoiser. Pour ce faire, il a fallu repenser les ressources à ma disposition. Ainsi, quoi de mieux que les ressources numériques pour aider dans l’opérationnalisation de ce changement ?

Résultats de ce nouveau contexte

Il a clairement fallu utiliser des compétences de l'intégration des ressources numériques dans son environnement de travail pour atteindre cet objectif. Si certes la forme des cours et de la relation pédagogique s'est vue fondamentalement modifiée par ce changement de modalité, on peut dire pour commencer que la mise en place de réunions Zoom à distance fut d'une grande aide dans le maintien de la communication enseignant-élève. Cela nous a permis de conserver une forme d’enseignement plus traditionnelle : se retrouver dans un espace commun virtuel, comme s’il s’agissait d’une salle de classe, et interagir comme nous l’avons toujours fait avec nos élèves, en demandant aux élèves de parler l’un après l’autre, en les interrogeant sur les exercices, en remettant à l’ordre celles et ceux qui ne seraient pas concentrés. De plus nous avons pu profiter de la fonctionnalité de « partage d’écran » des programmes de visioconférence, afin de projeter du contenu à nos élèves et guider leurs corrections. Cela a également rappelé le cadre de la classe dans laquelle nous utilisons fréquemment beamer et tableau noir.

Toutefois, cette solution de visioconférence pouvait poser parfois des problèmes (s’assurer que tout le monde a une bonne connexion internet, difficultés à voir tout ce que font les élèves à côté), mais elle s’est avérée passablement efficace en ce qui concerne le suivi du travail effectué par les membres de la classe. En effet, lors de la phase de questions-réponses, l’on s'est vite rendu compte de qui avait travaillé et qui n’avait rien fait et cela a provoqué également chez les élèves le sentiment d’être surveillés, non pas qu’il s’agisse d’un contrôle rigoureux, mais plutôt d’une manière de cadrer leur implication dans ce travail à distance et s’assurer que les apprentissages soient pris en compte.

Le plus important était surtout de favoriser les apprentissages de nos élèves et tenir compte de leur travail. La recréation d’un contexte social, propice à l’étude et aux interactions, à travers ces "salles de classes numériques" a permis de remettre en place une forme de contexte qui existe généralement de manière présentielle. La mise en scène de ces interactions « comme en classe » a permis de retrouver les rituels du cadre scolaire, ce qui a mené les élèves à conserver des habitudes (rendre des comptes à leurs enseignants, organiser et terminer leur travail, etc.) qui viendront maintenir un tant soit peu leurs processus d’apprentissages et in fine faciliter le retour au contexte scolaire, une fois le confinement terminé.

La deuxième chose fut d'utiliser la plateforme Team Up qui nous a permis de mettre tout le matériel nécessaire à disposition des élèves. La plateforme était séparée par classe et offrait à chacun un horaire personnalisé en fonction des heures de cours habituelles. Sous chacune de ces heures de cours, il était possible d'insérer des documents pour que les élèves les récupèrent et les remplissent.

Réactions des élèves

Ce que nous attendions des élèves était principalement leur implication dans ce changement de paradigme ; qu'ils participent à cette transition en respectant les consignes données et qu'ils nous communiquent aussi leur ressenti quant aux choses que nous avons mises en places. Il était important pour nous d'avoir leurs retours et il était important de savoir quelles ressources ils pouvaient ou non mobiliser, notamment en termes numériques. Fort heureusement tous les élèves disposaient soit d'ordinateurs personnels soit de smartphone, ce qui nous a permis de garder contact avec eux durant toute la période du confinement.

Cette manière de faire a été globalement bien accueillie par les élèves : la plupart des étudiants de la classe étaient présents lors des visioconférences et ce format permettait de répondre efficacement et rapidement à leurs questions, tout en leur assurant des rendez-vous hebdomadaires (2 par semaine) qui structuraient quelque peu leur semaine. Le couplage de ces conférences avec un groupe Whatsapp de classe et la plateforme numérique Team Up mise à disposition par le collège a permis un transfert de l'information passablement facilité pour les élèves, qui ont pu accéder sans problème à ces différentes ressources, que ce soit à travers leur ordinateur personnel ou leur smartphone. Aucun empêchement n'a été à déplorer de ce point de vue-ci et les élèves de notre classe n'eurent que peu de problèmes à trouver les informations sur la plateforme.

Il a fallu tout de même mettre en place quelques règles pour éviter les problèmes de communication que peuvent susciter ces outils : les élèves devaient tous mettre leur micros sous "muet" afin de limiter les prises de parole simultanées. Soit nous les interrogions directement, soit ils se manifestaient à l'aide des outils "émoticônes" de l'application Zoom, afin que nous leur donnions la parole. Cela a été relativement bien respecté de la part des élèves, en tant que mimique du geste de "lever la main" en classe, mais il a fallu plusieurs fois rappeler aux élèves de couper leurs micros. Il a fallu également rappeler à l'ordre les élèves qui s'amusaient avec la fonction dessin lors des partages d'écran, ce qui à nouveau rappelait une ambiance de classe tout à fait habituelle.

Toutefois, après plusieurs entretiens sur l’application Zoom, ma PraFo et moi avons remarqué plusieurs choses dans le comportement de certains élèves : la première était l’absentéisme régulier de ceux qui ont littéralement disparu du radar de l’école - non pas qu'ils n'avaient pas le matériel nécessaire, mais qu'ils ont simplement décidé de ne participer en rien à l'école à distance - la seconde, qui pouvait découler aussi en partie de la précédente, était la question de la correction et de l’évaluation de leur travail. En effet, certains élèves se contentaient de récupérer les corrigés mis à leur disposition sur la plateforme de l'école, sans même avoir touché leurs exercices et cela se ressentait fortement lors des corrections communes en visioconférences. Le nouveau cadre de liberté offert par l'utilisation de ces outils numériques a favorisé un certain laisser-aller chez une partie des élèves.

Changements nécessaires

A partir de cette observation, nous avons pris une deuxième mesure concernant le suivi de nos élèves qui était celle de leur demander des « preuves photographiques » qui viendraient attester du travail établi. Le choix a été fait avec ma PraFo de retirer les corrigés des plateformes à disposition des élèves et de ne les envoyer que s’ils nous envoyaient d'abord une photographie de leur exercice dûment rempli. Il nous a fallu arriver à ce stade pour essayer de stimuler quelque peu nos élèves à garder une discipline malgré la distance et le contexte. 

« Mardi 7 avril : nous avons décidé avec ma PraFo, après notre visioconférence de classe, de demander aux élèves de nous envoyer des photographies de leurs fiches, pour contrôler l’avancée de leurs devoirs. Certains ne font pas leur travail et nous devons contrôler qu’ils s’y mettent. Nous retirons aussi les corrigés des plateformes et on les enverra seulement à ceux qui nous envoient ces photos. Nous continuerons à corriger la plupart des exercices en visio, mais nous changeons de système parce que certains élèves ne prennent pas leur travail au sérieux. » (extrait du journal de bord, entrée du 7 avril 2020).


Conclusion

Les visioconférences, la plateforme Team Up, tout comme les règles spécifiques du contrôle de leurs corrections, ont prouvé leur efficacité en nous permettant d’avoir une meilleure idée de la situation de chaque élève vis-à-vis du programme et du travail qui leur a été demandé. Les informations sont bien passées et les élèves ont pu continuer à parcourir les apprentissages que nous avons tenté de leur inculquer pendant cette rude période. Les lectures ont été faites pour la plupart et les exercices de grammaire et de conjugaison ont pu être corrigés en direct avec eux.

De plus, ces mesures nous ont permis de maintenir une ambiance de classe positive, similaire à celle que nous avons eue en présentiel jusqu’à l’annonce du confinement. Ce faisant, nous avons pu contrôler plus facilement la présence des élèves, leur assiduité et cela leur a permis également de dissiper certains doutes et certaines difficultés quant au fait d’être livrés à eux-mêmes dans leur travail. Cela nous a également permis d'apprendre à mieux travailler avec ces outils numériques et les a également habitués à ce genre de mode de fonctionnement.

Limites de ces formes de travail et solutions complémentaires

On pourrait toutefois penser à d’autres solutions, afin de parfaire notre enseignement à distance : si nous avons su maintenir un rapport de groupe par le biais des mesures que nous avons mises en place, pourquoi ne pas également proposer des visioconférences individuelles qui permettraient d’être encore plus au fait de leur situation ? Certes cela représente une charge de travail supplémentaire, et pour nous, et pour eux, mais cela semble être, d’après certains collègues, une solution passablement viable et efficace. 

On pourrait aussi penser à des formes de check-lists que les élèves rempliraient petit à petit, ce qui permettrait encore d’avoir un œil sur l’évolution de leur travail et ce qui leur offrirait une forme de cadre supplémentaire, dépendant toutefois de leur capacité à s’autodiscipliner. 

 Quoi qu’il en soit, il est important de continuer à multiplier les efforts fournis pour traverser cette épreuve et chercher à créer un contexte qui se rapproche le plus possible de celui de l’école, pour notre bien-être et surtout celui de nos élèves.