msMITIC 2019

SEQ1: Continuité pédagogique

22.05.2020

Viviane Menétrey avatar. Viviane Menétrey

INTRODUCTION
Cette séquence intervient dans le cadre particulier de l’enseignement à distance mis en place suite à la fermeture des écoles pour cause de Covid-19 le 13 mars dernier. Stagiaire A en français dans une classe de 10 VG1 au niveau très faible, j’avais commencé avec ces 9 élèves peu motivés par l’école la lecture de « L’enfant océan » de Jean-Claude Mourlevat, une semaine avant le 13 mars. Ma prafo et moi-même avons, les premières semaines du confinement, distribué du travail à distance par le biais de fiches imprimées à l’école et remises dans la boîte aux lettres de chaque élève par leur maîtresse de classe. 
Le collège où je suis en stage a pourtant mis en place une plateforme "maison" où déposer le travail hebdomadaire pour chaque niveau, mais face à la situation particulière de cette classe, dont le niveau a été jugé inférieur aux autres VG1, il a été décidé que ses membres suivraient un programme spécialement conçu pour eux et qu'ils ne seraient pas contactés par voie électronique, certains n'ayant pas d'adresse mail, ou pas d'accès facilité à un ordinateur familial.

Après plusieurs semaines sans réponses (seul un élève a daigné prendre contact avec ma prafo pour lui remettre du travail), les parents des autres élèves la classe ont finalement été joints par téléphone. Nous avons alors appris que la plupart d’entre eux passait son temps à chater ou à jouer aux jeux vidéo, mais qu’aucun n’avait jugé utile de faire ses devoirs. 

Il a fallu se rendre à l’évidence : un changement de paradigmes devait s’opérer dans notre façon de concevoir notre enseignement. J’ai alors pris l’initiative de proposer d’intégrer les MITIC dans leur travail à domicile grâce à deux quiz conçus sur la plateforme LearningApps.org.
 
Certes, rien n’indiquait qu’en changeant notre approche, nous serions davantage en mesure de susciter l’intérêt chez ces élèves en décrochage scolaire. Mais nous avons décidé que cette nouvelle façon de recevoir du travail et de l’effectuer méritait d’être tentée. Car si tous n’avaient peut-être pas accès à un ordinateur, une chose était sûre pour l’avoir vérifiée en classe : tous avaient un smartphone.

L’activité s’est déroulée sur deux semaines, soit le temps donné aux élèves pour se connecter après avoir pris connaissance de la marche à suivre distribuée sur un document papier, et réaliser les deux quiz, plus un rappel, la première semaine n’ayant pas connu de participation... Le quiz lecture portait sur les chapitres 6 à 9 de « L’enfant océan » et était composé de 11 questions à quatre choix chacune. Le second contenait 15 questions de conjugaison de verbes de 10e à des temps divers avec, à chaque fois, trois choix. Les élèves ont partiellement participé – six sur neuf–, ce qui, au vu de leur activité durant les semaines précédentes, est un succès.


ANTICIPATION
1. Compétences Sqily
Les compétences "Connaître les conditions pour une intégration efficace des MITIC dans l'enseignement ", "Savoirs varier les approches pédagogiques" et "Comprendre l'élève digital native" , validées par un brevet, m'ont apporté un précieux soutien dans la recherche de solutions pour mener à bien une continuité pédagogique comportant une plus-value. 

  • Connaître les conditions pour une intégration efficace des MITIC dans l'enseignement m'a permis de me positionner par rapport à la plus-value apportée par le numérique dans mon enseignement, notamment à travers le modèle SAMR. Grâce à ce dernier j'ai ainsi pu dresser un rapide état des lieux de la situation et proposer une solution adaptée aux besoins particuliers de ces élèves.

  • Savoir varier les approches pédagogiques m'a aidée à déterminer les besoins de différenciation ou de remédiation des élèves, et leur proposer un support adapté à leurs besoins (ici le quiz en ligne, très utile, car il n'implique pas d'écrire, ce qui est une véritable barrière pour ces élèves ayant de grandes difficultés à s'exprimer par écrit).

  • Comprendre l'élève digital native m'a permis d'identifier les supports privilégiés par cette tranche d'âge pour se connecter (ici le smartphone) et quelle était leur utilisation du numérique. J'ai, par exemple, compris que s'ils passaient leur temps sur YouTube ou à chater ou à jouer à des jeux vidéos, ils n'étaient pas forcément en mesure de se connecter et d'effectuer le travail proposé en ligne sans une marche à suivre détaillée. 

2. Compétences des élèves nécessaires pour mener à bien l'activité
Pour mener à bien cette activité, les élèves doivent être en mesure de se connecter à la plateforme LearninApps, puis à leur compte, où j'ai déposé les deux applications (quiz et exercice de conjugaison). Ils doivent également être en mesure de lancer l'application et d'avancer dans cette dernière. Pour cela, une marche à suivre détaillée imprimée leur a été remise (j'y reviendrai au chapitre de la pédagogie).

3.1 Solutions envisagées:

Plateforme internet du collège
Comme je l'ai dit plus haut, le dépôt du travail sur la plateforme numérique réalisée par le collège n'a pas été retenu. J'en ai été quelque peu étonnée, mais je n'ai pas eu de prise sur cette décision. Les raisons qui ont été avancées lorsque j'ai demandé pourquoi, étaient que le travail de ces élèves n'étant pas le même que pour les autres VG, il serait plus simple de leur remettre les documents directement à domicile, car ils n'avaient peut-être pas accès à internet. Par souci d'équité et d'efficacité, le recours au numérique a ainsi été écarté d'entrée de jeu dans cette première phase de l'enseignement à distance.

Courriel
Là aussi, la crainte d'une inéquité face à l'accès à internet a sonné le glas du courrier électronique...

WhatsApp
Mes élèves ayant tous des smartphones, je me suis enquise de l'existence ou de la possible création d'un groupe WhatsApp pour maintenir le lien pédagogique. Mais là encore, il m'a été répondu que la direction interdisait le recours à WhatsApp.

3.2 Choix final:

LearningApps
Cette plateforme, où l'on peut créer gratuitement des applications scolaires a été salvatrice. Grâce à elle, j'ai pu créé mon propre contenu ainsi que les comptes de mes élèves sans avoir besoin d'une adresse de courriel ou de passer par une quelconque action de leur part en amont. De plus, cette application, sur laquelle je reviendrai en détails, offre l'avantage de pouvoir suivre le travail des élèves et de réaliser une statistique au niveau du temps passé sur l'exercice.

D'autres applications de ce genre existent mais mon choix s’est porté sur LearningaApps pour plusieurs raisons :

- Il est simple d’y concevoir une « appli » et les modèles à disposition sont variés.
On peut, par exemple, opter pour un texte à trous, un quiz avec des réponses à entrer soi-même ou via un choix multiple, ou encore recourir à des images et à de l’audio « fait maison » (cette fonction était malheureusement désactivée pour cause de surcharge durant le confinement).

- On peut décider de rendre publique son application, ce qui implique que les autres pourront s'en servir ou s'en inspirer, ou de la gardée privée (ce que j'ai fait dans le cas présent).

- L'application est accessible depuis un smartphone et la connexion est aisée.

 https://learningapps.org/watch?v=prfg0oagj20

Le numérique a été essentiel pour moi durant cette période car il a représenté la seule manière de réellement "voir le travail de mes élèves" et de préparer d'éventuelles rétroactions par écrit la semaine suivante, ou lors de la reprise des cours.

PÉDAGOGIE
Dans cette séquence, l’enseignant adopte une position de retrait par rapport à la relation entre savoir et élèves pour devenir observateur. Ce n’est plus lui qui interroge, voire explique, et l'on pourrait imaginer que le lien pédagogique s'en trouve distendu.

Cette nouvelle donne n’est en réalité que passagère. Car une fois les tâches des élèves effectuées en ligne, l’enseignant reprend son rôle de soutien et d’accompagnant: l'apport des MITIC lui aura permis d’accéder à une vue globale du travail des élèves en temps réel et d’établir des statistiques précises (temps consacré à l’activité), chose qu’un exercice réalisé à domicile n’aurait pas permise. Il est alors tout à fait possible d'établir une tendance, et de rendre-compte par voie écrite lors de la distribution suivante du travail hebdomadaire (par quinzaines pour cette classe). Cela n'a malheureusement pas été le cas pour ces élèves, la mise sur pied de cette activité ayant pris tellement de temps que le confinement touchait à sa fin lorsqu'ils ont enfin effectué les exercices. C'est donc en classe que j'ai pu effectuer les rétroactions nécessaires.

Un des problèmes que j'entrevois est celui de la modélisation, concept-clé enseigné à la HEP,  qui n'a pas pu avoir lieu puisque l'introduction du numérique s'est faite, dans mon cas, à distance. Difficile d'effectuer une différenciation personnalisée et de répondre aux attentes de chaque élève sans un support de communication vidéo tel Zoom ou Skype.

Expérience faite, il apparaît que recourir uniquement au numérique ne peut être envisageable dans le cas présent, ces élèves étant en grande difficulté scolaire. Le numérique intervient ici comme complément aux fiches, mais ne peut remplacer les explications et les rétroactions personnalisées. C'est un une alternative à l'enseignement « in situ », tout en apportant les plus-value précitées.

PLANIFICATION

1. Objectifs
Ils ont été établis en référence aux objectifs suivants de continuité pédagogique édictés par le Département vaudois de la formation :

"L'enseignement à distance ne saurait répondre aux mêmes exigences que l’enseignement présentiel. Les enseignant-e-s priorisent donc les thèmes retenus et privilégient la consolidation des acquis."

J'ai ainsi décidé, en accord avec ma prafo, de me concentrer sur la consolidation des acquis en privilégiant l'évaluation formative avec un exercice de révision des verbes de 10e année et la poursuite d'activités déjà entamées, à savoir la lecture du livre "L' enfant océan".

 2. Matériel, applications, supports et canaux de transmission

Au vu des difficultés rencontrées par cette classe, il a été décidé d'alléger sensiblement le travail et de le transmettre toutes les deux semaines, au lieu chaque semaine pour les autres.

Le matériel privilégié a été principalement celui des fiches, imprimées à l'école, et à remplir à la main pour les élèves. Une fois effectués, les exercices étaient envoyés à ma prafo, soit par courriel pour ceux qui avait une adresse, soit via leur maîtresse de classe lorsqu'elle passait déposer le travail dans leur boîte aux lettres et qui récoltait alors les travaux à corriger.

Le recours au numérique via l'application LearningsApps a ainsi permis de gagner un temps considérable au niveau de la transmission et de la reddition du travail, et de contrôler si les élèves l'avaient bien effectué.


Cette application a été utilisée pour une révision de verbes de 10e année:

Screenshot_2020-05-19 Quiz Conjugaison verbes10e.png 1.08 MB

Et pour une activité de lecture:
Screenshot_2020-05-19 Quiz enfant océan .png 1.65 MB



Une marche à suivre détaillée avec leur identifiant et leur mot de passe a été imprimée à l'école et ensuite placée dans leur boîte aux lettres avec le travail des deux prochaines semaines.
Capture d’écran 2020-05-19 à 09.22.02.png 906.13 KB



En cas de problème de connexion, il leur était bien entendu possible de joindre ma prafo ou moi-même par courriel. Toutefois, personne n'a jugé opportun de nous solliciter, même ceux qui ne sont pas parvenus à se connecter...

DEROUlEMENT

Comme explicité plus haut, nous avons décidé d'introduire le numérique par... le papier. Les marches à suivre ont donc été imprimées. Le planning des deux semaines suivantes prévoyait ces deux activités en ligne (quiz de conjugaison et littéraire) ainsi que des fiches à remplir à la main.

De mon côté, je pouvais suivre l'activité de ma classe depuis mon compte sur LearningApps.
Screenshot_2020-05-19 LearningApps org - exercices scolaires interactifs.png 194.02 KB


La première semaine, j'ai ainsi pu constater que seul un élève s'était connecté pour réaliser les exercices. Face à cet échec, il a été décidé d'appeler les parents des élèves pour les "relancer".

Comme dit au début, la démarche a visiblement porté ses fruits puisque 6 élèves sur 9 se sont finalement connectés à leur comptes. Tous ont joué au quiz "L'enfant océan" et 4 ont réalisé l'exercice de conjugaison. Au vu de taux de participation habituellement faible en classe, c'est un succès.
image.png 1.85 MB

ÉVALUATION
L'enseignement à distance reste un essai réalisé dans l'urgence. Mais cette brève expérience avec cette classe m'a permis de réaliser à quel point le numérique, s'il est bien utilisé, peut être un soutien de taille aux élèves en difficultés.

La différenciation apportée par le changement de format et l'absence de devoir écrire, a constitué, selon moi, une réelle plus-value pour cette classe. Tout comme le fait de pouvoir avoir un retour rapide sur l'activité ou la non-activité des élèves.

Du point de vue du modèle SAMR[1], l’application permet une augmentation significative de la tâche, voire une modification, les élèves pouvant se connecter depuis leur smartphone et obtenir ainsi une rétroaction immédiate, ce qui serait impossible avec un format papier, à moins de délivrer les réponses en même temps que les questions. D’un point de vue pédagogique, l’outil offre la possibilité d’une évaluation formative en l’absence de l’enseignant.

Sans être derrière eux à chaque instant, le numérique permet ici d'évaluer le temps passé sur l'exercice et de s'assurer que tous ont répondu correctement, condition sine qua non pour passer à la question suivante et par conséquent terminer l'exercice.

J'aurais trouvé intéressant de pouvoir avoir accès au nombre d'erreurs et au pourcentage de réponses correctes ou incorrectes aux questions, mais cette application ne comporte pas ce type d'option.

Lors de nos retrouvailles en classe, les élèves qui ont pris la peine de faire les quiz m’ont dit avoir trouvé ce nouveau support ludique, ce qui semble avoir éveillé un certain intérêt chez ceux qui n’avaient pas encore essayé. Nous avons ensuite repris ensemble avec leur smartphone la marche à suivre pour se connecter, puis j’ai donné une nouvelle date de reddition pour ceux qui n'avaient pas fait les exercices.

ÉDUCATION AUX MÉDIAS

Sans surprise, il est apparu que ce que j'avais travaillé au niveau théorique à travers le brevet "Comprendre l'élève digital native" s'est avéré correspondre à la réalité: les élèves de cet âge ont beau tenir à leur smartphone comme à la prunelle de leurs yeux et passer le plus clair de leur temps à regarder des vidéos sur YouTube ou à chater, ils ne possèdent pas les compétences attendues pour se connecter à un compte. 
S'ils sont donc nés "un smartphone à la main", ils ne savent pas pour autant faire fonctionner les multiples outils à disposition.

Étant en stage A, je n'ai que très peu eu l'occasion de les immerger dans l'ère du numérique, si ce n'est à travers quelques recherches internet en salle d'informatique. L'expérience de la continuité pédagogique me conforte donc dans la nécessité d'un recours accru au numérique dans leur formation. À commencer par ce que l'on peut ou ne peut pas faire sur internet. Lors de nos retrouvailles, je suis, par exemple, revenue avec eux sur l'application utilisée, reprenant par le début la marche à suivre, et en ai profité pour les mettre en garde contre les dangers à livrer son nom et son adresse mail au tout venant. 

Dans le cas des comptes de classes que j'ai ouverts, je n'ai jamais écrit leur prénom, me bornant à répéter les deux ou trois premières lettres de leur prénom, et leur mot de passe a été généré aléatoirement. Autant de précautions, certes obligatoires, mais que trop d'élèves ignorent. 

En conclusion je dirais que le numérique peut être un réel apport s'il a été introduit en amont. Cela de surcroît avec des élèves où le lien pédagogique est avant tout basé sur le relationnel plutôt que sur les savoirs, mais qu'il ne peut remplacer la relation pédagogique entre l'enseignant et l'élève. Mon constat vaut également pour l'enseignement à distance de manière générale.

[1]Levy. A. (2017) « SAMR, un modèle à suivre pour développer le numérique éducatif », Technologie, n° 206, janvier-février, p. 8-13, consulté le 5 mai sur https://www.ac-paris.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-02/articletechnologie206_alainlevy_bd.pdf