msMITIC 2019

Continuité pédagogique

08.06.2020

Malinovschi Gina avatar. Malinovschi Gina

Maria (Gina) Malinovschi – MSTIC – Continuité pédagogique
 
Introduction 
 
            La nouvelle organisation de l’enseignement à distance, imposée par la situation actuelle, a bouleversé l’enseignement « traditionnel », en présentiel, connu jusqu’à présent par nos élèves et la majorité des enseignants. 
            Ce bouleversement a été également ressenti dans ma pratique. En stage B dans une classe d’accueil à l’École de la transition de Morges, j’enseignais 13 périodes de français langue seconde à un groupe de 11 élèves âgés de 15 à 20 ans. Les élèves ont un niveau faible en français (fin A1- début A2). Leurs langues maternelles sont l’espagnol, le tigrigna, le kurde, le pachto, le macédonien. Certains d’entre eux ont des notions de base en anglais. Avant la période du confinement, les cours de français avaient lieu le lundi matin (4 périodes), le mardi après-midi (4 périodes), le mercredi matin (2 périodes) et le vendredi après-midi (2 périodes et une période d’appui). 
Je dois préciser que mes élèves sont en Suisse depuis peu de temps et que certains ont suivi une scolarité «classique» dans leur pays d’origine, d’autres ont été très peu scolarisés ou pas du tout. 
 
            Ce travail est organisé en deux parties :  dans une première partie je présenterai le fonctionnement de l’enseignement à distance avec ma classe durant cette période de confinement, de manière globale ; la deuxième partie sera consacrée à la présentation de la manière dont j’ai organisé la continuité pédagogique d’une séquence que j’avais commencée en classe avant la période du confinement.
 
Anticipation 
 
            Dispenser les enseignements à distance demande quelques compétences spécifiques de la part de l’enseignant. Pour ma part, je devais trouver un moyen pour transmettre le travail à faire aux élèves, un outil pour organiser des vidéoconférences, et un moyen de retour du travail effectué par les élèves. 
            La première semaine de confinement j’ai opté pour la transmission du travail par mail. Je me suis rendu compte que certains élèves rencontraient des difficultés dans la consultation d’une pièce jointe, et ne savaient pas attacher un document à un mail. 
Par ailleurs, trois élèves ne disposent pas d’un ordinateur et deux d’entre eux ont une très faible connexion internet. 
             Après plusieurs recherches sur internet et consultations avec la maîtresse de classe, nous avons décidé de continuer notre enseignement à distance via GoogleDrive. Il s’agissait d’une découverte pour moi, car je n’avais jamais utilisé cet outil auparavant. J’ai donc consacré beaucoup de temps à comprendre comment cela fonctionnait. Un autre problème est apparu à ce moment-là. Même si la plupart des élèves avaient un compte gmail, ce n’était pas le cas pour tout le monde. Il fallait donc en créer un. Cela a été un nouveau défi, car un élève en particulier m’a clairement informée qu’il ne savait pas comment il fallait procéder. J’ai donc passé quelques heures avec lui sur WhatsApp pour lui expliquer la procédure. N’ayant pas réussi à le faire lui-même, j’ai fini par lui créer un compte gmail, avec l’adresse et le mot de passe qu’il m’avait indiqués. Afin de garantir la sécurité du compte gmail et des données personnelles de cet élève, je l’ai contacté par la suite via Whatsapp et je lui ai expliqué les démarches à suivre pour changer son mot de passe. 
A partir de la deuxième semaine de confinement j’ai déposé les devoirs sur Drive et j’ai expliqué le fonctionnement aux élèves à plusieurs reprises, lors des vidéoconférences. Malgré les explications répétées, j’ai remarqué que certains élèves n’avaient toujours pas compris. Pour les élèves en question j’ai décidé d’envoyer les devoirs par WhatsApp. 
J’avais fait le choix de passer par le Drive dans le but de permettre aux élèves de faire les devoirs directement sur le document envoyé, sans être obligé d’imprimer, car la majorité d’entre eux n’a pas d’imprimante. Ainsi j’ai créé un dossier pour chaque élève et j’ai envoyé à chacun le lien correspondant. Cela me permettait également de corriger les devoirs, et d’éviter l’engorgement de mon courriel. 
            La majorité des élèves a fini par comprendre comment cela fonctionnait. Trois élèves en particulier n’ont toujours pas réussi à utiliser GoogleDrive. Je continue donc d’envoyer les devoirs via WhatsApp. Un d’entre eux imprime les documents, fait les activités, les prend en photo et me les envoie par WhatsApp. Deux autres élèves n’impriment pas les documents mais écrivent sur un support papier les réponses, et me les envoient en format jpeg via WhatsApp. La correction de ce type de support est très difficile et chronophage, car la seule solution que j’ai trouvée pour le moment est l’utilisation de l’application « Aperçu » qui implique de nombreuses manipulations. 
Pour les élèves qui travaillent directement sur Drive je procède à une correction individuelle, avec des remarques, sans donner les réponses, et le lendemain je mets à disposition le corrigé. 
            Le 23 mars l’équipe informatique de l’École de la transition a mis à la disposition des enseignants une plateforme où ils peuvent déposer les documents pour les élèves de chaque classe. Cette plateforme est ouverte à tout le monde, aucune connexion n’est requise.  Le passage par cette plateforme n’était pas obligatoire. Étant donné qu’elle était ouverte à tout public, nous avons décidé, ma collègue et moi, de ne pas l’utiliser. Une autre raison de ce choix était notre volonté de ne pas perturber nos élèves qui commençaient à s’habituer avec GoogleDrive. 
 
            L’outil choisi pour organiser les vidéoconférences est Zoom. Le choix s’est fait suite aux suggestions de la direction de l’établissement. De nouveau il s’agissait d’un outil que je ne connaissais pas. J’ai consacré quelques bonnes heures pour comprendre comment l’outil fonctionne et pour être à l’aise avec sa manipulation. Pour les élèves c’était une nouveauté également. Avec la maîtresse de classe, nous avons contacté individuellement les élèves via WhatsApp et nous leur avons expliqué la procédure. A l’heure actuelle deux élèves ne peuvent pas participer aux conférences Zoom, à cause d’une trop faible connexion internet (c’est l’information donnée par les élèves-mêmes ; je m’interroge encore sur la véracité de cette information…). Pour permettre tout de même à ces élèves de participer à nos réunions, je les appelle sur WhatsApp, en appel vidéo, je fixe mon téléphone sur l’écran de mon ordinateur, pour qu’ils puissent suivre les documents que j’utilise pour les explications des nouvelles notions. 
Pour permettre aux élèves d’accéder à la vidéoconférence, je planifie la réunion à l’avance, j’envoie le lien avec l’identifiant et le mot de passe via WhatsApp ou par mail. 
L’inconvénient de Zoom consiste dans le fait que la réunion ne peut pas durer plus de 45 minutes.         Au début de la période d’enseignement à distance, le temps n’était pas limité, mais à partir de la deuxième semaine, sans que je comprenne pourquoi, la limite est apparue. J’ai essayé de mettre à jour le logiciel, mais rien n’a changé. Par conséquent, à la fin des 45 minutes, j’ouvre une autre réunion et j’envoie de nouveau le lien aux élèves. Parfois, il m’arrive  d’organiser trois réunions le même jour. Je me rends compte que nous perdons beaucoup de temps avec ces manipulations. Cela est embêtant, car parfois, je suis en train d’expliquer une nouvelle notion, et je suis obligée de tout interrompre afin de rouvrir une nouvelle réunion. Cette coupure influence de manière négative la concentration des élèves, qui est déjà plus faible qu’en classe. 
 
Pédagogie et planification
 
            Les directives de la DGEP étaient d’organiser l’enseignement à distance de façon à permettre aux élèves de suivre le programme ordinaire. Si durant la première semaine les devoirs que j’ai fournis aux élèves visaient une consolidation des notions et concepts abordés en classe, à partir de la deuxième semaine, j’ai commencé à aborder des points nouveaux. 
L’enseignement à distance se déroule de la manière suivante : deux vidéoconférences d’environ 1h30 sont organisées chaque semaine (le lundi et le jeudi de 14h00 à 15h30). Les devoirs sont fournis aux élèves deux fois par semaine également (le lundi – à rendre pour jeudi 10h00, et le jeudi- à rendre pour lundi 10h). Ces créneaux horaires ont été fixés en accord avec la maîtresse de classe et les autres enseignants intervenant dans la classe.
            Les réunions Zoom s’organisent de la manière suivante : correction collective d’une partie ou de la totalité du travail (en fonction de la réussite ou non des tâches par la majorité de la classe) ; présentation d’une notion nouvelle (j’introduis la notion de la même façon qu’en classe ; je partage l’écran de mon ordinateur et sur un document vierge, qui sert de tableau, j’écris les informations que j’aurais écrit, en temps normal, au tableau ; je pose des questions aux élèves, soit individuellement – l’élève interrogé répond à l’oral ; soit collectivement – les élèves donnent les réponses par écrit dans le chat ; j’explique la nouvelle notion tout en laissant une trace écrite). Le document créé lors de la réunion Zoom est ensuite déposé sur GoogleDrive, pour que les élèves puissent le consulter à tout moment. Dans la deuxième partie de la réunion, je présente et explique aux élèves le travail à effectuer pour la fois prochaine. Bien évidemment, ils peuvent revenir vers moi via WhatsApp ou mail au cas où ils ont des questions. 
            Début avril, la DGEP a mis à la disposition des enseignants une autre solution de vidéoconférence basée sur la plateforme de Cisco WebEx. Comme le passage par cette plateforme n’est pas obligatoire et que nous avons réussi enfin à mettre en place avec nos élèves un dispositif qui fonctionne, nous avons décidé - avec les collègues intervenant dans ma classe -  de ne pas changer et de continuer avec Zoom. 
 
Séquence pédagogique
 
            Avant le confinement j’avais commencé une séquence pédagogique autour des contes étiologiques (appelés aussi contes du pourquoi ou contes des origines). Il s’agit d’une séquence qui avait lieu le vendredi après-midi avec la participation de ma praticienne formatrice. 
L’objectif général de la séquence était de permettre aux élèves de se familiariser avec la structure de ce type d’écrit. La séquence était composée de 5 séances : 
- séance 1 : découvrir le conte étiologique – fournir des modèles textuels ;
- séance 2 : connaître les caractéristiques d’un conte étiologique ;
- séance 3 : savoir écrire le début du conte : décor et personnages ;
- séance 4 : constituer une grille contenant les caractéristiques des différentes parties d’un conte étiologique ; écrire en groupe un conte étiologique ;
- séance 5 : écrire en binôme un conte étiologique.
 
            Les trois premières séances ont eu lieu en présentiel. Il s’agit d’un travail ambitieux car il ne faut pas oublier que le niveau en français des élèves est assez faible et que certains d’entre eux ne connaissent pas le type d’écrit qui est le conte. Quand j’ai appris que les cours ne pouvaient plus être dispensés en présentiel j’ai commencé à réfléchir à la manière dont je pourrais organiser le travail à distance pour mener à bien la séquence, d’autant plus que certains élèves avaient été absents à l’une ou plusieurs séances en présentiel. C’était un vrai défi. Par moment j’ai été même tentée d’abandonner l’idée et de reprendre le travail une fois de retour en classe. Surtout que le devoir qui a été donné à distance (écrire le début d’un conte) a été réalisé par un seul élève, l’explication des autres étant de ne pas avoir compris la consigne. 
            Après plusieurs jours de réflexion et suite aux encouragements de ma praticienne formatrice, j’ai repris le travail sur les contes lors d’une vidéoconférence. A l’aide de l’écran partagé j’ai repris tous les documents distribués en classe et nous avons fait un rappel du travail effectué. J’ai fait parvenir ensuite tous les supports aux élèves, via GoogleDrive et WhatsApp. 
            Afin de permettre aux élèves d’avoir accès aux explications concernant le travail sur les contes du pourquoi, j’ai décidé de créer une capsule vidéo dans laquelle je présente dans un premier temps les éléments importants à retenir concernant ce type de texte, et dans un deuxième temps la tâche qu’ils doivent réaliser individuellement, à savoir écrire un conte ayant comme titre « Pourquoi le zèbre a des rayures ? ». Après plusieurs heures de travail et d’essais, j’ai réussi à créer une capsule vidéo (ma première) comportant un commentaire d’un diaporama, que j’ai déposée sur GoogleDrive. 
            Si dans la séquence de départ j’avais prévu l’écriture du conte en binôme, j’ai décidé de proposer un travail individuel pour éviter les obstacles qui auraient pu être rencontrés par les élèves dans la manipulation des outils informatiques. A un moment donné j’avais pensé proposer un travail à deux, via Trello, mais comme expliqué précédemment je ne voulais pas rajouter une difficulté supplémentaire aux élèves. 
            L’écriture du conte devait être réalisée pour lundi 4 mai. Malheureusement, comme c’est le cas avec les autres devoirs, seulement une partie des élèves l’a rendue à temps. La raison évoquée par les élèves était de ne pas avoir compris. Lors de la vidéoconférence du lundi 4 mai, j’ai décidé de présenter à l’ensemble de la classe les 3 productions reçues, de les lire ensemble, de les analyser et de vérifier si les critères demandés avaient été respectés. J’ai été plutôt satisfaite car ces critères ont été respectés en grande partie. Il faut préciser que les trois élèves en question sont des jeunes qui avaient suivi une scolarité classique dans leur pays. Il s’agit de deux Espagnols et d’un Macédonien.  Mon hypothèse est que ces jeunes ont déjà été confrontés avec ce type de texte auparavant, même si les textes étaient écrits en leur langue maternelle. Comme je voudrais à tout prix que chaque élève essaie de rédiger un texte de ce type, j’ai accordé un délai supplémentaire de 3 jours à ceux qui ne l’avaient pas rendu à temps. J’espérais que les textes écrits par les camarades pourraient les aider encore plus dans la rédaction de leur propre texte.
 
Inconvénients 
            Un des inconvénients de l’enseignement à distance avec ce type de public, c’est le manque de feed-back de leur part. A chaque fois que j’interroge les élèves sur la compréhension d’une consigne, d’une notion nouvelle, ils affirment avoir compris. Ce phénomène est observable également en classe, en revanche, étant à proximité, il est plus facile pour l’enseignant de trouver des stratégies pour vérifier le degré de compréhension des élèves (poser des questions supplémentaires, demander aux élèves de donner des exemples, présenter des situations différentes…). A distance, cela est plus difficile à mettre en place, car j’ai l’impression que les élèves n’osent pas prendre la parole (peut-être parce que leur voix change ?). Je fais l’hypothèse que ce phénomène est dû au niveau faible des élèves en français, et probablement pour certains, il s’agit d’habitudes culturelles, ou pourquoi pas la peur de perdre la face (si je dis que je n’ai pas compris, l’enseignante et les autres vont se moquer de moi). D’ailleurs, j’ai remarqué qu’aucun élève n’active sa caméra. J’ai essayé de leur expliquer à plusieurs reprises qu’il est important pour moi de voir leur visage, d’abord par respect, car je montre le mien, ensuite parce que leurs mimiques pourraient m’aider à observer leurs réactions. Cela pourrait être utile pour leurs camarades qui comprendraient probablement mieux ce que la personne est en train de dire, pouvant « lire sur les lèvres ». 
Il s’agit ici d’un autre point important qui est impacté par l’enseignement à distance. Avec un public allophone, l’enseignant fait très souvent appel au langage corporel et à la mimique. En classe, cela a comme but d’aider les élèves à mieux comprendre. Dans une vidéoconférence, il est difficile de communiquer via le langage non verbal. Cela a donc un impact majeur sur la compréhension. 
            Un autre élément important concerne la présence des élèves aux vidéoconférences et la réalisation des devoirs. Dans le cadre des cours en présentiel, la présence en classe des élèves était notée systématiquement, et au bout de plusieurs absences non justifiées, les élèves avaient une retenue. Avec l’enseignement à distance, l’école n’a plus aucun pouvoir sur cet aspect. Malgré le fait que je note toujours les absents, et que je transmets la situation à la maîtresse de classe, les élèves savent qu’ils ne seront plus sanctionnés pour leurs absences, donc ils peuvent s’absenter plus facilement. C’est le cas également pour le travail à rendre. Nous n’avons plus aucun pouvoir de sanctionner les élèves qui ne rendent pas les devoirs à temps, d’autant plus que les élèves d’une classe d’accueil de l’école de la transition ne passent aucun examen à la fin de l’année scolaire. 
La seule certification est un document attestant leur niveau en français et en mathématiques. 
 
 
 Conclusion
 
Les différentes recherches en sciences de l’éducation ont montré que la meilleure manière d’apprendre est la mise en situation. Cette période de confinement a permis aux enseignants et aux élèves d’être mis dans la situation d’utiliser les nouvelles technologies. Malgré la difficulté que j’ai rencontrée parfois à « faire cours », malgré l’apprentissage partiel de nouvelles notions et concepts  par les élèves, malgré tous les autres inconvénients cités précédemment, je préfère retenir le côté positif de cette situation que personne n’a pu contrôler : mes élèves ont probablement retenu seulement une partie des leçons de français, mais je suis fière, car ils ont tous appris à consulter et à envoyer un mail, à accéder à des documents sur Google Drive, à participer à une vidéoconférence, à savoir utiliser le micro de leur ordinateur, à écrire dans un document texte. Ce sont des compétences qui leur sont indispensables dans leur vie personnelle et professionnelle future, dans une société moderne. 
Quant à moi, cela m’a permis de « mettre à jour » certaines compétences comme par exemple utiliser le Google Drive, utiliser un outil de vidéoconférence, créer une capsule vidéo.