msMITIC 2019

Séquence continuité pédagogique

18.06.2020

Héritier Guillaume avatar. Héritier Guillaume


Préambule à la lecture

L’article ci-dessous rapporte mon expérience en lien avec l’enseignement à distance de mi-mars à mi-mai 2020, époque où l’école se fait à la maison pour les élèves suisses. L’article ne ressemblera probablement pas aux autres disponibles à la lecture sur Sqily. Premièrement, les traces sont rares. Cela est dû au fait que les contacts avec mon praticien-formateur se sont fait essentiellement par téléphone, laissant ainsi peu de traces. Deuxièmement, il n’y a pas de traces d’élèves pour des raisons que vous découvriez à la lecture de ce texte. Aussi, une discussion critique prend place à la fin de l’article, en tentant de tirer bilan de ce confinement sur les apprentissages des élèves et l’implication du personnel éducatif. 

 

Introduction

Je suis actuellement en stage A au Collège Beausobre à Morges. J’ai pour charge d’enseigner l’histoire à une classe de 10 Voie Générale (VG), à raison de deux périodes par semaine. A côté de cela j’assiste à deux périodes d’histoires dispensées par mon praticien-formateur – une en VG, une autre en voie prégymnasiale (VP) – ainsi qu’à une ou deux périodes de français par semaine. Ma classe de 10 VG est composée de vingt élèves. Mon praticien-formateur travaille essentiellement à l’aide de dossier. Cela s’explique en grande partie par l’absence de matériel électronique – aussi simple qu’un rétroprojecteur par exemple – à disposition. De fait, les locaux ne sont munis que d’un tableau noir. Le travail sur un dossier commun aux élèves facilite ainsi la progression des apprentissages. Lorsque j’ai commencé à enseigner, c’est donc en utilisant la documentation de mon praticien-formateur sur la Révolution française.

Lorsque le confinement fût déclaré à la mi-mars, je me suis retrouvé comme de nombreux autres stagiaires et enseignants dans une situation inconfortable. Que faire à présent ? Comment maintenir le lien pédagogique avec nos élèves ? Surtout, comment se coordonner avec nos praticiens-formateurs et collègues d’établissement ? Le contact avec nos élèves est essentiel dans la progression de leurs apprentissage, en histoire comme dans les autres disciplines. Dès lors comment organiser un suivi pertinent et apportant une réelle plus-value ?

Mon praticien-formateur et moi avons été en contact tout au long du confinement comme le démontrent les extraits d’appels ci-dessous, concernant principalement le mois d’avril[1].

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Nous avons décidé conjointement, après une longue discussion, que l’enseignement dispensé à la 10 VG dont j’ai la responsabilité prendra la forme suivante : chaque lundi matin, mon praticien-formateur mettra en ligne sur Teamup (au début l’organisations se fait par Educanet) les pages du dossier sur la Révolution française sur lesquelles travailler. Il est à noter que nous avions commencé ce dossier avant la fermeture des écoles. Par exemple, pour la semaine du 4 mai, les élèves devaient remplir les pages 15 à 17.
Un des avantages de cette organisation selon moi est qu’elle permet aux élèves d’organiser leur travail et de se responsabiliser. En d’autres termes, un élève pourra décider de travailler le jeudi après-midi sur son dossier d’histoire, et remplir ses obligations hebdomadaires en la matière, tandis que d’autres préfèreront étaler sur plusieurs jours ce qu’ils ont à faire.

Mon praticien-formateur et moi-même restions à disposition des élèves en cas de besoin. Deux questions sont parvenues à mon responsable par le biais de questions posées par email, principalement des questions de compréhension. Mon responsable me les transmettait, je lui proposais une réponse, et il répondait à l'élève sur la base de ma suggestion.

Au début du confinement je pensais qu’un des avantages de la discipline qu’est l’histoire était que, de manière général, l’enseignement à distance n’impacterait pas vraiment le contenu. C'est-à-dire qu’en travaillant sur un dossier, il serait possible de continuer les objectifs pédagogiques fixés, sans que ceux-ci ne connaissent une trop grande modification. Nous verrons plus tard dans ce travail pourquoi cela s’est avéré être faux.

Les élèves n’ont pas eu besoin d’apporter des preuves de la bonne réalisation de l’activité proposée, mon praticien-formateur ne le souhaitant pas. Nous avons échangé sur ce sujet à plusieurs reprises pendant la mise en place de l’enseignement à distance, et malgré des désaccords, pour des raisons de qualité du suivi nous avons décidé de ne pas procéder ainsi. Assurer à 20 élèves, chaque semaine, un retour corrigé personnalisé de leur dossier créerait trop de difficultés d’ordre logistiques selon mon praticien-formateur. En effet, il estimait que procéder de la sorte serait trop chronophage, et que le bénéfice serait faible. Etant stagiaire, je n'ai pas souhaiter aller à l'encontre de mon Prafo.
Pour compenser ce manque, j’ai réalisé un corrigé détaillé du dossier sur lequel les élèves travaillaient, et le corrigé des pages à faire pour la semaine étaient transmis à la fin de celle-ci ou au début de la suivante. Voici un extrait du corrigé mis à disposition des élèves :
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Cependant, nous avons informé les élèves que nous vérifierons leurs productions lors de la semaine de la rentrée afin de vérifier que le travail a été réalisé. Les élèves de la classe dont j’ai la responsabilité étant pour la plupart sérieux, j’avais bon espoir que cela soit fait.
Lors de la reprise, j'ai vérifié si le travail demandé avait été réalisé, ce qui a été la plupart du temps le cas. En effet, les élèves avaient remplis leurs dossiers, et l'avaient modifié lorsque cela s'était avéré nécessaire lors de la lecture du corrigé à leur disposition. 
Quand j'ai demandé aux élèves de produire une synthèse sur les principales étapes de la Révolution français,  la plupart des travaux se sont avérés être corrects, mais certains connaissances n'étaient pas acquises. Cela démontre à mon sens que l'organisation globale du travail à distance n'a pas permis les mêmes apprentissages pour tous les élèves, et certains se sont retrouvés - bien que très légèrement - décrochés.


 

Anticipation

Différentes compétences MITIC ont été mises à contribution dans le cadre de cet enseignement à distance, notamment celle "Organiser la continuité des apprentissages pour vos élèves à distance" (SQILY). Si celle-ci a été quelque peu boiteuse, comme nous le verrons, il n'empêche qu'une forme de continuité a été mise ne place. Par ailleurs, différentes compétences technologiques ont été nécessaires, comme par exemple être capable de maitriser un contenu produit en ligne, ou organiser la discussion avec les élèves en cas de besoin (WhatsApp ou Zoom).

Pour réaliser à bien ce travail, les élèves doivent donc avoir à disposition un ordinateur, ou une tablette. Si aucun de ces instruments n’est disponible, il m’a été communiqué que potentiellement des ordinateurs portables pourraient être mis à disposition des élèves qui n’en disposaient pas. Cependant, ce cas de figure ne s’est pas présenté car tous les élèves disposaient d’un ordinateur portable ou d’un poste fixe à disposition. Par contre, nous ne saurons jamais vraiment si certains élèves ont eu des difficultés pour manier le numérique, mais il est à relever que cette expérience pourrait en partie être bénéfique pour certains élèves quant à l’utilisation des nouvelles technologies. En effet, il est rare qu’en classe un enseignant explique le fonctionnement d’un logiciel de traitement de texte ou d’un tableur. En demandant aux élèves de s’en servir – comme ce fût le cas dans d’autres disciplines avec par exemple la demande de tenir un journal de bord durant le confinement – certaines compétences informatique se sont développées chez les élèves[2]

Ainsi, on le voit, il n’y a pas directement une compétence MITIC enseignée à proprement parler. L’organisation décidée par mon praticien-formateur et moi-même est une sorte de « business as usual », où les nouvelles technologies n’interviennent que trop peu. Nous n’avons donc pas été dans ce que Levy (2017) rappelle sur l’utilisation d’un outil technologique. En effet, il avance que l’utilisation des MITIC a pour objectif objectif d’apporter « apportent une plus-value pédagogique fondamentale par rapport à la même tâche effectuée auparavant sans outil numérique »[3]. Cela n’a donc pas été le cas dans l’enseignement dispensé par mon praticien-formateur et moi-même.

 
Pédagogie

Dans le cadre de cet enseignement à distance, les rôles de l'enseignant et de l'élève sont donc bien distincts. L'enseignant, qui est le créateur du dossier, guide à distance le travail de l'élève, et ce grâce à des consignes données sur Teamup. Pour sa part, l'élève est ici un exécutant, dans le sens qu'il travaille selon les consignes transmises par l'enseignant. Le numérique est ici envisagé comme un médiateur entre l'élève et l'enseignant. En effet, il n'y a pas réellement de travail "sur" du numérique, car le dossier sur lequel travaille l'élève est à sa disposition sous format papier (distribué quelques semaines avant le confinement par l'enseignant). Il s'agit pour eux de le remplir, puis de le corriger si nécessaire.


Planification

Un des objectifs principaux de la continuité pédagogique était de permettre aux élèves de continuer à être en lien avec l’institution scolaire. Comme cela nous a été indiqué à de nombreuses reprises par les autorités politiques, et les médias, durant le confinement les élèves étaient censés reprendre les bases de ce qu’ils avaient fait jusqu’à la mi-mars. Situation compliquée en histoire, bien qu’en aucun cas impossible. Il eut été pertinent de reprendre les connaissances déclaratives vues jusqu’à ce moment-là. Mais en matière de maitrise des connaissances procédurales – la lecture de carte, l’analyse d’une source, l’analyse d’image, etc. – ce confinement aurait sans doute constitué un frein dans le maintien et le développement de ces capacités chez les élèves. Ainsi, nous avons opté pour continuer le travail sur le dossier que nous avions prévu comme nous avons pu le voir précédemment. Les élèves disposant de toute la documentation nécessaire, et mon praticien-formateur et moi-même nous tenant à disposition si nécessaire, la difficulté se trouvait ainsi limitée.

 

Déroulement et évaluation

Un des défauts principaux de cette organisation est, comme je l’ai évoqué auparavant, le manque de suivi personnalisé. Si le travail a été réalisé dans son ensemble, et ce de manière plus que correcte, certaines lacunes risquent de persister du fait de ce travail à distance, notamment concernant les connaissances déclaratives.

J'ai évoqué plus haut le faible nombre de question transmis par les élèves durant le confinement, mais lors du retour en classe j'en ai découvert la raison en discutant avec eux. Ceux-ci avaient organisés des groupes de discussion WhatsApp concernant les différentes matières, et lorsqu'un problème apparaissait, ils posaient leurs questions par ce biais, et non pas directement aux enseignants, de peur, selon eux, "de déranger" ou d'être considéré comme un "nul" (la terminologie est la leur). Si d'un point de vue qualitatif il est regrettable qu'ils aient procédés de la sorte, cela démontre néanmoins un bel esprit d'initiative et d'entraide.

Cependant, cette période de confinement pourrait renforcer les inégalités scolaires, notamment chez les plus vulnérables comme le rappelait Cécile Darnon (2020) récemment, en avançant que le « revers de l’été » chez les élèves les plus défavorisés[4]. Il est malheureusement possible – voire probable – que le « Grand confinement »[5] impacte négativement les élèves ne bénéficiant pas d’un suivi nécessaire de la part de leurs enseignants, mais aussi de leurs parents. Ainsi, ils risquent de perdre certains acquis et leur niveau post-confinement serait plus faible que celui qui précédait. De futurs études viendront selon toute vraisemblance confirmer ces faits.

Avec du recul, et de la réflexion, il aurait été préférable de procéder autrement. La question du suivi personnalisé, soulevée précédemment, aurait dû être envisagée différemment, en s’assurant que chaque élève fasse le travail et comprenne ce qui lui est demandé. Par ailleurs, le format choisit n’était peut-être pas le bon, à savoir que demander aux élèves de travailler seul participe à rompre le lien avec l’institution scolaire. Des rendez-vous organisés sur Zoom, des petits capsules vidéo ou encore des power point commentés auraient pu rendre le travail à distance plus attrayant et instructif pour les élèves[6]. Je le rappelle encore une fois, et je ne blâme personne, mais je ressens un sentiment de frustration à l’écriture de ces lignes, en ayant eu l’impression de ne pas avoir pu réaliser mon travail d’enseignant correctement.

A présent je propose d’élargir le débat en sortant de mon cas personnel. Au cours de discussion avec de nombreux autres stagiaires ou enseignant, il semble que l’enseignant à distance ait été marqué pour beaucoup par un manque d’implication des élèves. Cela s’est notamment traduit dans la qualité des rendus, ainsi que le fait que certains enseignants n’aient pas été très impliqués sur la production de leurs élèves, ou de leur suivi. Ce constat concerne toutes les matières, peu importe leur dotation horaire ou leur valorisation sociale.

Doit-on cependant en conclure que l’enseignement à distance est par essence voué à l’échec ? S’il ne remplacera jamais l’enseignement en présentiel, l’enseignement à distance peut par contre être un complément. Certains établissements, comme celui de Saint-Anne au Canada, proposent déjà un enseignement en partiel à la maison pour ses élèves. En effet, ces derniers restent chez eux au moins une fois par année. Grâce à cela, certaines techniques de l’enseignement à distance sont maitrisées, ce qui n’était probablement le cas chez la plupart des enseignants suisses[7]. Les diverses solutions produites par ceux-ci restent le meilleur compromis possible, faute de mieux. Par contre, il faudra, à l’issu de cette crise, trouver des moyens pour permettre un enseignement à distance de qualité si une telle situation venait à se reproduire, ou que l’enseignement à distance devienne une partie intégrante du fonctionnement scolaire. Ainsi chacun doit tirer le bilan de son expérience personnelle en tant qu’enseignant, évaluer la qualité de l’enseignement qu’il a fourni, et comment celui-ci aurait pu être amélioré.

 

 
Education aux médias
Comme mentionné précédemment, le dossier concernant la Révolution française sur lequel les élèves ont travaillé durant le confinement a été entièrement conçu par mon praticien-formateur. Les documents qui le composent ne contiennent pas d'information explicite d'où ils ont été extraits. Il est évident pour un enseignant que les images et textes sont tirés du manuel d'histoire Nathan de 10e, mais du point de vue de l'élève cela pourrait être plus compliqué à déchiffrer. Aussi, cette absence de référence peut brouiller la perception de l'utilisation d'images sans le consentement de son auteur chez les élèves. Certains pourraient penser qu'il est possible de reproduire des images sans indiquer d'où celle-ci est tirée. A l'avenir je tacherai de le mentionner explicitement dans mes dossiers.


 

 

 


 
 

 

 
[1] Pour des raisons qui m’échappent, je n’ai pas réussi à remonter plus loin dans l’historique de mes appels. Cela est surement le fruit de mon changement de téléphone durant les premières semaines du confinement. Nous sommes également restés en contact par email et messages Whatsapp.

[2] Le recours à des tuto YouTube ou l’aide des parents pourraient favoriser cette nouvelle maitrise.

[3] Levy, M. (2017). "SAMR, un modèle à suivre pour développer le numérique éducatif". Dans La Revue Technologie. No 206, janvier-février 2017. Canopé.

[4] https://theconversation.com/inegalites-scolaires-des-risques-du-confinement-sur-les-plus-vulnerables-135115. Les politiciens ont également conscience du décalage à venir.

[5] http://www.leparisien.fr/economie/le-grand-confinement-le-fmi-a-deja-trouve-un-nom-a-cette-crise-economique-15-04-2020-8300409.php

[6] À propos de l’usage de la visioconférence dans l’enseignement lire Mônica Macedo-Rouet, « La visioconférence dans l'enseignement. Ses usages et effets sur la distance de transaction », in Distances et savoirs 2009/1 (Vol. 7), p. 65-91, pour qui la visioconférence permet une plus-value au niveau du dialogue entre enseignant et apprenant sans pour autant permettre une réelle réduction de la distance de transaction.

[7] http://innovation.sainteanne.ca/un-modele-pour-lapprentissage-lors-dune-journee-a-distance/

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