msMITIC 2019

Séquence 1 - "Gravité" et vocabulaire latin

29.05.2020

Guillaume Feigenwinter avatar. Guillaume Feigenwinter

Contexte

Introduction

J’enseigne en stage B le latin et le grec ancien, deux langues qui demandent un travail régulier, notamment en ce qui concerne l’acquisition du vocabulaire. La classe de latin présentée dans cet article est en 10ème année, comprend six élèves (toutes des filles, d’où l’emploi généralisé du féminin dans cet article) en voie pré-gymnasiale, c’est-à-dire que ces apprenantes sont déjà familiarisées avec le travail lexical. Lorsque la pandémie du COVID-19 a frappé la Suisse, nous avons été contraints d’abandonner l’enseignement en présentiel et les technologies de l’information et de la communication sont devenues absolument incontournables, ne serait-ce que pour établir un contact entre enseignant et élève. Comme mes six élèves disposaient chez elles d’un ordinateur et d’un accès Internet régulier, j’ai pour ma part saisi cette occasion pour présenter à cette classe une façon différente d’apprendre le vocabulaire. Ce devait être une intervention ponctuelle, mais l’enthousiasme dont mes élèves ont fait preuve m’ont poussé à continuer cette pratique et même à en faire le sujet de mon travail de mémoire.
    En quelques mots, nous avons utilisé le site http://quizlet.com et tout particulièrement la fonctionnalité “Gravité” pour entraîner la mémorisation des vocabulaires latins. Pour faire simple, “Gravité” utilise les flashcards de vocabulaire présentes sur Quizlet et les transforme en jeu de mémoire contre la montre. L’élève voit ses points augmenter, ses résultats comparés à ceux de la classe et à ses propres performances. Un accent particulier est placé sur les mots qui n’ont pas été retenus.
Sur trois semaines, j’ai affiné le fonctionnement de cette séquence que j’ai répétée vocabulaire après vocabulaire. La dimension ludique a particulièrement marqué les élèves, même si j’ai rencontré des interrogations quant à la question de la compétitivité.

Utilité du numérique

L’apprentissage du vocabulaire sans MITIC est d’ordinaire dominé par les répétitions à partir du manuel ou l’utilisation de Flashcards sur papier, des activités réalisées individuellement et gérées du début à la fin par l’élève. Je pense que beaucoup d’entre nous se souviennent de ces apprentissages comme peu passionnants, pour employer un euphémisme. Il m’a tout de suite paru que l’intérêt des MITIC était de conférer un aspect ludique et social à cette activité rébarbatrice. En effet, l’automatisation d’un outil comme Quizlet permet un feedback immédiat - qui allège la charge mentale de l’élève, une prise en compte des résultats précédant - qui sélectionne pour l’étudiant les mots les plus pertinents à travailler, et des stimuli sonores et visuels plaisants lors de la réalisation de l’exercice - qui rendent l’activité entière plus sympathique. En outre, l’accès Internet à Quizlet me permet à moi (et à mes élèves, ce qui n’est pas évident sans MITIC) de jauger les progrès  sans pourtant se voir en présentiel. Pour toutes ces raisons, je considère que la séquence mise en place se situe au niveau “Modification” du modèle SAMR. 
    Les MITIC ont cette fois-ci admirablement rempli la tâche que j’en attendais. En témoignent de meilleurs résultats au dernier test de vocabulaire en date et un niveau de mobilisation de la part de mes élèves encore inédit. Cependant, j’ai également appris que cette activité devait être supervisée de façon régulière et qu’un contact personnel avec les élèves était nécessaire pour s’assurer que l’aspect compétitif ne devienne pas problématique, mias plutôt reste un facteur motivant. 


Compétences enseignantes

    L’utilisation de Quizlet et la réalisation de la séquence présentée dans ce travail requiert un certain nombre de connaissances : familiarité avec Internet (Sqily :Utiliser les fonctions de base des ordinateurs de mon école), maîtrise des outils mail ainsi que les questions de confidentialité y relatives, utilisation des MITIC dans un cadre ludique (Sqily : Gamifier / Ludiciser sa classe avec le numérique), compréhension de la structure en “classes” et “listes” de Quizlet, didactique des MITIC pour présenter les compétences précédemment énoncée. En somme, cette activité ne demande pas de compétences très spécialisées, mais il ne faut pas néanmoins l’aborder à l’aveugle. Je ne pensais pas que créer une activité ludique produirait des problèmes, et pourtant j’ai appris au fil de ma séquence que je devais développer cette compétence. 

Alignement pédagogique

Objectifs

Du point de vue du latin, cette séquence engage les compétences “Apprentissage d'un nombre limité de mots illustrant la variété du lexique latin” et “Distinction entre les champs sémantiques des mots latins et français (virtus= courage, qualité et non pas vertu)”.
Pour ce qui est des compétences transversales, elles tombent principalement dans la catégorie “Startégies d’apprentissage”, avec des items tels que “distinguer ce qui est connu de ce qui reste à découvrir”, “dégager les éléments de réussite”, “gérer son matériel, son temps et organiser son travail” et “développer son autonomie”.
Enfin, les compétences liées aux MITIC relèvent de domaines comme “Utilisation d'une adresse courriel personnelle institutionnelle et participation à une plateforme de communication (blog, forum,…) et “Recours aux moyens audiovisuels et informatiques adaptés à la tâche à effectuer jusqu'à la production finale”

Style pédagogique 

Mon rôle en tant qu’enseignant a principalement été de guider les élèves dans le processus d’apprentisasge en présentant l’outil, mes attentes et en récoltant régulièrement le feedback de mes élèves. Je justifie cette posture par la présence d’un outil déjà très performant qui me permettait de m’effacer et de laisser les élèves “en tête-à-tête” avec leurs apprentissages. Quant à mes élèves, elles étaient davantage dans le rôle d’utilisatrices que de productrices, puisqu’elles utilisaient un outil sans pour autant produire une nouvelle ressource. Néanmoins, cette utilisation était automatiquement valorisée par la fonctionnalité “Gravité” de Quizlet, car les progrès étaient visualisables sous forme de points. Pour cela, j’estime que le rôle du numérique était à la fois celui d’un stimulant et d’une aide précieuse pour la méta-cognition des élèves qui pouvaient aisément s’auto-évaluer. 
    Au cours de la séquence, j’ai pu progressivement laisser mes élèves travailler de manière autonome. Au départ, je donnais du feedback en live (lors de la première séance), puis après quelques jours, puis une fois par semaine uniquement. J’ai été plaisamment surpris du temps qui s’était libéré. 

Évaluation

En un sens, l’activité décrite comporte un nombre potentiellement élevé d’évaluations diagnostiques puis formatives. En effet, donner le sens de mots latins dans un temps limité est exactement ce qui se passe en évaluation. En réalité, les élèves étaient, à chaque fois qu’elles utilisaient le jeu “Gravité” en situation d’évaluation. J’ai eu le sentiment que la fréquence d’évaluation était un point positif, car elle faisait de chaque moment d’apprentissage un défi plutôt qu’une obligation. Cependant, il n’y a jamais eu d’évaluation au sens strict du terme (avec une note, dans un TS ou un ETA, etc) car la situation extraordinaire de ce semestre interdisait d’ajouter de nouvelles notes. Si je pouvais évaluer formellement mes élèves, je l’aurais fait en classe, à l’aide des ordinateurs appartenant à mon établissement, dans des conditions similaires à celles qu’elles rencontraient pendant l’apprentissage. 
La progression des élèves était visible au jour le jour, essai après essai. En effet, Quizlet garde en mémoire les résultats des élèves et surtout le meilleur score. Par exemple, j’ai pu observer comment la maîtrise d'une élève
Les scores d'une élève, en augmentation de semaine en semaine.
augmentait d’une session à l’autre. 
En plus des résultats chiffrés facilement observables, les diverses conversations que j’ai eues avec mes élèves montrent que la plupart d’entre elles ont acquis une forme de métacognition. Par exemple, Émilie explique “Avec le jeu on sait tout de suite où on en estpar rapport à la fois passée. Quand on a juste la feuille, on se rend pas forcément compte.”

Gestion de la classe

Éducation aux médias

    La séquence ne afit pas intervenir d’images ou d’enregistrement permettant de reconnaître l’élève : aucun problème à craindre de ce côté-là. Les élèves ont besoin de s’inscrire en utilisant leur e-mail scolaire (en effet, pas besoin de confirmer l’adresse mail) et doivent utiliser un pseudo. Sur ce dernier point, j’ai profité de la première entrevue sur Zoom pour demander que ce pseudo me permette de reconnaître à quelle élève j’avais affaire (ainsi j’évitais tout pseudo problématique). Par ailleurs, il était possible pour chaque élève d’observer les résultats de ses camarades. Comme je connais bien cette classe, je n’ai pas eu peur de cette fonctionnalité, ni craint une quelconque forme de harcèlement d’après ce critère. 
    Comme les risques étaient limités, je n’ai rencontré aucun obstacle du point de vue de l’éducation aux médias. La confidentialité n’étant pas une problématique spécifique à cette activité, tout s’est bien déroulé et je reprendrais ma marche à suivre sans autre. 

Planification

    J’ai choisi d’utiliser Quizlet parce qu’une masse considérable de vocabulaire y est déjà présente, notamment tous les manuels de latin. J’ai communiqué l’organisation à mes élèves au travers de conférences Zoom, puis par mail. Je demandais d’effectuer au moins deux fois par semaine le jeu “Gravité” : pour vérifier que tout le monde travaillait et pour évaluer les soucis éventuels. Cette séquence s’est étendue sur trois semaines, la durée habituelle que je prévois pour l’apprentissage du vocabulaire.
    Je n’ai pas produit de document particulier pour guider mes élèves. En revanche, nous nous sommes rencontrés dans une visio-conférence sur l’application Zoom (que les élèves utilisaient déjà sans problème !) et j’ai montré moi-même la marche à suivre en partage d’écran. Cette méthode par modelage a visiblement bien fonctionné puisque je n’ai eu qu’une unique question par mail après la conférence (concernant le niveau de difficulté à sélectionner).
    Dans l’ensemble, cette séquence a montré qu’il fallait parfois très peu de planification et que l’outil en place était suffisant pour des élèves de 10e relativement autonomes. 

Déroulement

    La séquence a débuté par un échange de mails qui agendait une visio-conférence sur l’application Zoom. 
Lors de cette conférence, les élèves et moi-même avons lu le vocabulaire en question et je me suis assuré que sa compréhension était assurée au travers de questions-réponses. Toujours pendant cette conférence, j’ai expliqué le déroulement des 3 semaines à venir quant à l’apprentissage du vocabulaire et comment la classe allait utiliser Quizlet. Certaines avaient déjà utilisé cette fonctionnalité dans d’autres enseignements, d’une manière générale, toutes avaient une certaine connaissance de l’outil (mais pas forcément de la fonctionnalité “Gravité”). J’ai ensuite montré, grâce à un partage d’écran, comment s’inscrire, quel adresse mail utiliser, quel pseudo enregistrer et comment intégrer ma “classe”. À chaque étape, j’attendais la confirmation de mes élèves qu’elles avaient bien réussi à suivre mon exemple. Finalement, j’ai joué quelques partie du jeu “Gravité” et les ai encouragées à en faire de même. Après quelques minutes, j’ai indiqué qu’il faudarit atteindre le niveau 3 au moins une fois d’ici la prochaine rencontre, que je fixais à 4 jours plus tard.
Entre cette première rencontre et la suivante, j’ai observé chaque jour quelle(s) élève(s) utilisai(en)t Quizlet. Au bout du 2e jour, toutes avaient au moins fait une tentative, et 4 d’entre elles avianet déjà rempli la condition nécessaire. 
Au moment de la deuxième rencontre, seule une élève n’avait pas atteint l’exigence demandée. Nous avons discuté ensemble de leurs ressentis quant à cette méthode de travail. La vaste majorité des retours étaient positifs : l’aspect ludique plaisait, la compétition donnait un intérêt supplémentaire à l’activité, le fait de retenir les résultats passés étaient de bons repères. Deux élèves tout de même ont mentionné le stress produit par l’exercice, car la limite de temps était parfois trop brève et toutes ne tapaient pas à la même vitesse sur un clavier. Je leur ai enfin demandé d’atteindre au moins une fois le niveau 4 d’ici la semaine suivante. 
Cette fois-ci, la fréquence d’activité fut plus faible : la veille du délai, la moitié seulement s’était connectée. Cepndant, le jour-même, toutes avaient rempli leur objectif, ce qui était une amélioration. 
Lors d’une discussion, j’ai relevé que le niveau d’enthousiasme était légèrement plus bas que la première fois, sans doute à cause de l’effet de nouveauté qui s’effaçait. Dans l’ensemble cependant, la motivation était présente, et les résultats aussi !
Les deux semaines suivantes se sont déroulées sans vidéo-conférence : j’envoyais mes attentes par mail et donnais / demandais un feedback par mail également.
À la fin de la deuxième semaine, j’ai reçu un message que je ne pensais pas recevoir. Une élève m’a demandé s’il était “normal” qu’elle soit systématiquement en dernière place du classement de la classe. J’ai compris que la compétition, qui plus est la compétition en ligne sans feedback en présentiel, pouvait être problématique. Je l’ai rassurée personnellement par mail, puis ai envoyé un mail général qui rappelait que le plus important était de dépasser son propre score plutôt que celui des autres. 
À la reprise cette semaine, j’ai testé le vocabulaire de manière informelle durant une version et ai constaté que le vocabulaire était comparativement mieux retenu que d’ordinaire. Une élève a d’ailleurs fait cette même remarque toute seule et les autres ont approuvé. Il y eu donc des résultats positifs du point de vue de l’apprentissage du vocabulaire et de la métacognition. 

Cette expérience, née de la panique du COVID-19, s’est avérée tout à fait fructueuse. J’ai découvert un outil très puissant que je comtpte employer davantage à l’avenir. J’ai d’ailleurs retravaillé mon projet de mémoire pour intégrer l’outil “Gravité” de Quizlet. Je note cependant que cette séquence nécessitait un peu plus de préparation en amont en ce qui concerne l’esprit de compétition. En effet, Quizlet présente ses “classes” en “classement” et il faut se garder de transformer l’école en tournoi.