msMITIC 2019

Google Drive et la mythologie du Gros-de-Vaud

11.07.2020

Guillaume Feigenwinter avatar. Guillaume Feigenwinter

Contexte

Introduction
J’enseigne à Cugy le cours facultatif de grec ancien. L’effectif est réduit, de sorte que les 10èmes et 11èmes années sont regroupés. Dans ces conditions, il est à la fois possible et nécessaire de proposer un enseignement qui convienne à tous les niveaux et à tous les intérêts. En effet, on ne peut demander aux 11èmes de refaire le programme de 10ème, et dans une branche facultative, maintenir la motivation est capital, puisque la “carotte” habituelle des notes est inutile. 
Voilà pourquoi j’ai développé un certain nombre d’activités en commun où les élèves apportent chacun un pierre à l’édifice. Pour cette séquence, je vous présente un projet d’écriture collaborative. Les élèves réalisent un recueil de légendes, inspirées des mythes grecs, au sujet de leur propre région, le Gros-de-Vaud. 
Que viennent faire les MITIC dans ce projet ? Très simplement, nous utilisons la plateforme Google Drive pour centraliser, commenter et mettre en forme les textes. En classe, les élèves utilisaient les ordinateurs portables de l’établissement pour se connecter et travailler. 
Nous avions commencé à utiliser cette plateforme en ligne en début d’année 2020 et celle-ci nous a permis de maintenir le projet à travers la période de quarantaine, quoique le rythme ait évidemment ralenti. Aujourd’hui, nous avons un beau nombre de textes mythologiques sur le Gros-de-Vaud dont les élèves sont fiers. 

Utilité du numérique
Écrire un texte ne nécessite pas de MITIC, certes. Même, écrire un roman entier peut se passer du numérique. Cependant, l’écriture collaborative requiert un niveau d’organisation supplémentaire. Il faut conserver les textes, recevoir des commentaires, retravailler, s’accorder avec les textes des autres, avoir accès aux textes des autres, etc. Par exemple, en travaillant sur papier, il serait impossible qu’un élève continue à écrire son texte pendant qu’un autre le commente. Avec une plateforme en ligne comme Google Drive en revanche, il est possible que toute la classe puisse lire, commenter et amender un texte pendant que son auteur continue à écrire. De plus, la plateforme permet de centraliser les textes pour que chacun ait accès aux ressources générales, ainsi que de conserver les textes sans les égarer chez soi… L’activité collaborative aurait été bien différente, plus complexe et moins ambitieuse sans les MITIC. Pour toutes ces raisons, je considère que la séquence mise en place se situe au niveau “Modification” du modèle SAMR. 
    Dans l’ensemble, les MITIC ont tout à fait rempli leur rôle. La quantité de textes produits et la cohérence intertextuelle en sont les témoins. Toutefois, comme nous le verrons dans la partie “Déroulement”, l’activité a rencontré des obstacles logistiques à ses débuts. La maîtrise de Google Drive, outil nouveau pour mes élèves, s’est fait sur plusieurs semaines. De mon côté, j’ai dû batailler contre le matériel de l’école pour obtenir des résultats consistants. Cette séquence s’envisage donc sur le moyen ou long-terme, et demande une préparation conséquente. 

Compétences enseignantes
    L’utilisation de Google Drive et la réalisation de la séquence présentée dans ce travail requiert un certain nombre de connaissances : familiarité avec Internet (Sqily : Utiliser les fonctions de base des ordinateurs de mon école), maîtrise des outils mail ainsi que les questions de confidentialité y relatives, gestion d’une écriture à plusieurs (Sqily : Utilisation de l’écriture collaborative). En somme, cette activité ne demande pas de compétences très spécialisées, mais il ne faut pas néanmoins l’aborder à l’aveugle. J’étais pour ma part déjà un utilisateur de longue date de Google Drive, mais un enseignant qui ne connaît pas l’outil devrait passer du temps à se familiariser avec la plateforme avant d’entreprendre cette séance. 


Alignement pédagogique

Objectifs
Du point de vue du plan d’études de grec ancien, cette séquence travaille les compétences “Établissement de parallèles avec des sociétés anciennes et modernes (démocratie, Siècle des Lumières...), ainsi qu’avec l’actualité”, “Découverte de la mythologie grecque (mythes, divinités...)”, “Approfondissement des mythes par une approche philosophique, psychologique, archéologique…”, “Réflexion sur le sens des mythes” et enfin “Lecture d’épisodes mythologiques et légendaires”. La particularité de cette séquence est la posture active de l’élève, en cela qu’il doit recréer un mythe à partir de ses connaissances mythologiques grecques.
Pour ce qui est des compétences transversales, cette séquence requiert principalement de la collaboration (“prise en compte de l’autre” et “action dans le groupe”) ainsi que la pensée créatrice (“reconnaissance de sa part sensible” et “concrétisation de l’inventivié”). Plusieurs exercices visaient en effet à donner son avis des pistes d’amélioration sur le travail d’autrui. 
Enfin, les compétences liées aux MITIC relèvent de domaines comme “Choix et utilisation autonomes (jusqu'à la gestion et l'organisation des documents) de diverses ressources numériques adaptées à la tâche projetée (texte, présentation, feuille de calcul, dessin, musique,…)”, “Approfondissement de l'usage du correcteur orthographique”, “Utilisation d'une adresse courriel personnelle institutionnelle et participation à une plateforme de communication (blog, forum,…) ” et bien sûr “Utilisation d'une plateforme de collaboration”, finalement “Réflexion au sujet des abus possibles (dépendance, harcèlement, exclusion,…)”. Cette dernière compétence s’appliquait principalement dans les commentaires que chacun produisait et dans la formulation de ceux-ci. 

Style pédagogique 
Avant le début de la séquence, j’estimais que mon rôle se limiterait à expliquer le fonctionnement de la plate-forme et veiller à ce qu’il n’y ait pas d’abus. Je comptais laisser les élèves relativement “seuls” face à Google Drive et me concentrer sur l’évaluation de leurs productions. Dans les faits, j’ai bien plus souvent que prévu dû endosser le rôle de guide, voire de réparateur, pour des questions logicielles et matérielles. En effet, plusieurs points ont dû être améliorés en cours de route. Premièrement, les ordinateurs eux-mêmes étaient fréquemment non-fonctionnels, soit parce qu’ils ne s’allumaient pas, soit parce qu’ils ne captaient pas le Wifi. Deuxièmement, nous avons eu un nombre certain de problèmes de mots de passe : élèves qui ne se souvenaient plus de leurs identifiants, identifiants qui ne fonctionnaient plus. J’ai dû me renseigner auprès de la reponsable MITIC de l’établissement pour rétablir la situation. Enfin, les élèves ne connaissaient pas Google Drive et malgré l’interface relativement intuitive de celui-ci, quelques obstacles ont dû être surmontés : faire la différence entre un fichier partagé ou non, comprendre qui pouvait ou non accéder à un fichier ou même retrouver son travail. De toute évidence, j’avais sous-estimé ces facteurs. Heureusement, comme le projet s’envisage sur le long-terme, ces problèmes n’ont été qu’un “hic” mineur. 
Mes élèves, eux, ont été évidemment utilisateurs mais aussi et surtout producteurs, puisqu’ils ont rédigé des textes de leur création et des commentaires régulièrement. Ce sont sur ces deux types de production que les élèves sont évalués. Le choix de placer les élèves en position de producteurs s’est imposé comme alternative aux traditionnels “questions ouvertes sur les mythes”. En effet, le processus de création fait émerger des questionnements plus difficiles à susciter dans une posture plus passive. Les élèves ont apprécié ce rôle et l’ont bien rempli jusqu’à maintenant, ce qui montre un impact positif sur la motivation.
Le rôle du numérique était de conserver, de centraliser, d’organiser et de permettre des modifications en simultané et en collaboration. Dans l’ensemble, les MITIC étaient là d’une part pour réduire la complexité et le nombre d’activités à réaliser, d’autre part pour permettre des options inaccessibles en format papier. Après cette séquence, j’étais tout à fait satisfait de la place donnée au MITIC. 
J’ajoute que j’ai moi-même été auteur et commentateur. Bien entendu, mon rôle avait quelques prégogratives supplémentaires, mais dans l’ensemble, nous avons pu travailler véritablement en collaboration.

Évaluation
    Les textes produits relèvent  clairement du domaine créatif, et leur évaluation soulève donc quelques questions. De plus, le travail de chacun étant nécessaire, la note individuelle ordinaire ne s’applique que dans une certaine mesure. Pour répondre à ces interrogations, j’ai décidé que chaque texte n’aurait qu’un seul auteur et que seul cet élève serait évalué sur le texte en question. Cependant, il fallait estimer également la valeur des commentaires produits. Pour cela, j’ai demandé à mes élèves de ne jamais “résoudre” les commentaires. Ainsi, j’étais le seul à pouvoir les fermer et je pouvais évaluer si tel élève avait commenté de façon constructive. 
    Pour réduire encore davantage la subjectivité de l’évaluation, j’ai demandé qu’un certain nombre de principes soient respectés. Ceux-ci, le plus souvent, ont été définis démocratiquement (par exemple “Quel nom doit avoir ce dieu ?”) pour que chacun soit au courant et d’accord sur le monde narratif que nous créions. Dans l’évaluation des textes, je vérifie que ces principes sont respectés. Dans l’évaluation des commentaires, je vérifie si les relecteurs respectent ces principes également. 
    Ainsi, sur Google Drive, les élèves avaient accès à un fichier qui compilait ces principes, qui servaient, somme toute, d’objectifs.
    L’idée initiale était d’éditer un petit livre. Malheusement, la pandémie a éliminé cette option. Nous avons choisi, ensemble, d’arrêter l’activité lorsque un de nos fils narratifs principaux serait achevé. Il n’y aura pas d’évaluation notée, mais je rendrai à chacun une fiche commentant chacun de leurs textes selon les critères susmentionnés. De plus, chacun recevra une version imprimée “maison” en souvenir. 



Gestion de la classe

Éducation aux médias
    La séquence ne fait pas intervenir d’images ou d’enregistrement permettant de reconnaître l’élève : aucun problème à craindre de ce côté-là. Cependant, les élèves devaient utiliser une adresse mail sur laquelle ils pouvaient recevoir des mails, donc pas leur e-mail scolaire. J’ai été surpris de constater que seule une élève n’avait pas d’adresse Google. Les autres ont pu utiliser une adresse pré-existante ; j’ai assisté la dernière dans la création de son adresse mail. J’ai également vérifié qu’il n’y avait pas de pseudo problématique. En outre, j’ai expliqué à deux reprises que le texte était un objet personnel et qu’il était hors de question d’aller modifier le travail d’autrui sans permission. Les élèves ont appris à se servir de la fonction “commentaire”, sans modifier directement le texte. Par ailleurs, Google Drive dispose d’un certain nombre de fonctionnalités pour “back up” les anciennes versions d’un texte, mais nous n’en avons jamais eu besoin.
    Comme les risques étaient limités, je n’ai rencontré aucun obstacle du point de vue de l’éducation aux médias. La confidentialité n’étant pas une problématique spécifique à cette activité, tout s’est bien déroulé et je reprendrais ma marche à suivre sans autre. 

Planification
    J’ai choisi d’utiliser Google Drive simplement parce que je l’utilise quotidiennement et que je me savais capable de résoudre les problèmes qui pourraient survenir. La plateforme répondait à toutes les attentes formulées plus haut, et n’a pas déçu.
    La séquence s’est déroulée depuis janvier 2020, à raison d’une heure par semaine à peu près. Jusqu’au confinement, nous utilisions les ordinateurs portables de l’établissement. Pendant la quarantaine, j’ai contacté mes élèves par mail puis sur Meister Task et nous avons pu continuer à produire des textes, quoique plus lentement, à raison d’une heure toutes les deux semaines. Depuis la reprise, nous sommes revenus au rythme habituel. Cette séquence a donc pris plus d’un tiers de mon enseignement de grec. Ce cours, facultatif, est une occasion rare où l’on peut passer près de la moitié du temps sur un travail créatif, occasion dont je ne me suis pas privé. 
    Outre les questions logicielles et matérielles évoquées plus haut, j’ai également dû effectuer un important travail de guidage. Écrire n’est pas facile pour tous. Pour palier à cette difficulté, j’ai mis au point un certain nombre de contraintes et d’exercices de style (souvent personnalisés pour un ou deux élèves en particulier) afin de “débloquer” certains. La plupart, cependant, était très enthousiaste et il fallait plus souvent contenir que motiver. 

Déroulement
    La séquence a débuté en janvier 2020, après un premier d’exercice d’écriture créative. Comme ce dernier avait enthousiasmé les élèves, j’ai proposé de le développer et de réaliser un recueil entier de mythes. L’idée a plu, et la semaine suivante, nous mettions en place la plate-forme Google Drive. 
    Il a d’abord fallu régler les questions d’adresses mail. Pendant la première séance, certains ne pouvaient pas se connecter et ont dû envoyer leurs textes sur mon adresse mail pour que je les télécharge moi-même sur le Drive. Les premiers textes étaient presque entièrement sans contrainte. J’ai montré au tableau comment accéder au dossier partagé, créer un nouveau texte et le nommer.
    La deuxième semaine, tout le monde a pu se connecter. Par contre, certains ne trouvaient plus leurs textes. Heureusement, j’ai vite constaté qu’ils n’étaient simplement pas dans le bon dossier. En effet, ils n’avaient pas enregistré leurs textes dans le dossier commun. J’aurais dû faire cette vérification dès la première semaine, et je l’ai systématiquement réalisée après cela. Cette semaine-là sont apparus les premiers blocages créatifs. Certains élèves passaient beaucoup de temps à hésiter sans écrire grand chose.
    La troisième semaine, j’ai apporté les contraintes et exercices de style dont je parlais plus haut. Ceux-ci ont débloqué la situation de manière efficace, avec l’avantage supplémentaire de renouveller l’activité : il ne s’agissait plus d’écrire comme d’habitude, mais de relever un petit défi. 
    À partir de février, nous avons commencé à commenter les textes les uns des autres (tout en continuant à écrire de son côté). Certains des premiers commentaires se limitaient à “c’est bien”, ce qui n’est évidemment pas suffisant. J’étais venu préparé cette fois-ci, et j’ai demandé à ces commentateurs de vérifier si le texte commenté respectait les critères que nous avions déterminés. De nouveau, c’est la contrainte qui a libéré l’inspiration. 
    Du point de vue du déroulement de la séquence, les semaines suivantes, même pendant le confinement, n’ont pas beaucoup changé. Les élèves écrivaient d’une part, commentaient d’autre part, et l’avancement dépendait des sujets mythiques traités en classe à ce moment. 
    Je pense qu’il était judicieux d’introduire les différentes activités progressivement (exercice de style, commentaire, etc) afin de ne pas surcharger cognitivement les élèves qui devaient déjà apprendre à maîtriser l’outil Google Drive. 

Cette séquence fut un véritable plaisir à réaliser. Il est rare que l’enseignant puisse collaborer avec ses élèves. Le cours facultatif de grec donne cette possibilité, les élèves l’ont apprécié et ont joué le jeu à 100%. Si je devais recommencer cependant, certaines choses auraient été faites plus tôt. Par exemple, j’aurais testé les ordinateurs avant la première heure pour savoir lesquelles fonctionnaient et sauver une dizaine de minutes. En outre j’insisterais davantage sur la marche à suivre pour enregistrer les textes au bon endroit, car les élèves ne sont pas tous à l’aise avec l’idée des dossiers. À retenter l’année prochaine !