msMITIC 2019

Séquence 1 - continuité de l'enseignement en période de confinement

24.06.2020

Camille Bezzola avatar. Camille Bezzola

Introduction
 
Je suis enseignante d’allemand et de français (stage B d’allemand cette année scolaire) à Lausanne. J’interviens dans deux classes, une de 7ème année et une de 10VG en niveau 2.
J’avais l’intention, pour l’élaboration de la séquence demandée dans ce séminaire, de lier l’utile à l’agréable en développant avec ma classe de 10VG un projet de mini-séquences théâtrales, en les faisant créer, jouer, filmer et monter des scénettes sur la thématique que nous abordions en cours.
Lors de l’arrivée soudaine du confinement, nous n’avions pas encore abordé ce nouveau chapitre : les élèves de cette classe présentant des écarts de niveau importants – et après avoir pris connaissance des recommandations de mon établissement, bientôt suivies et confirmées par celles de la DGEO visant à privilégier la continuité du lien entre les élèves et nos matières plutôt qu’une poursuite aveugle du programme – j’ai donc fait le choix de réorienter mes objectifs. La période que nous traversons est certes difficile, mais elle peut également apporter beaucoup de richesses et de nombreuses opportunités de réflexion, autant sur le fonctionnement de notre système scolaire que sur celui de notre société, l’un n’allant évidemment pas sans l’autre. 
J’ai ainsi décidé de saisir l’opportunité judicieuse offerte par les responsables de ce séminaire pour réaliser un travail réflexif sur l’adaptation de mon enseignement en confinement, au travers d’un article relatant mon expérience de la continuité pédagogique.
Ceci me semble d’autant plus intéressant que mon établissement ne dispose que de possibilités réduites d’accès au matériel informatique : une petite dizaine de classes sont équipées de TBI – ce n’est pas le cas de celles dans lesquelles j’enseigne – et bien que nous ayons accès à des salles d’informatique, quelques ordinateurs portables et beamers/écrans qui peuvent être empruntés et amenés en classe, il est souvent difficile de trouver un créneau qui ne soit pas déjà réservé par d’autres collègues ou de les obtenir sur une longue durée afin de les utiliser régulièrement avec nos élèves. S’il n’est pas inexistant, le travail informatique dans mon école ne peut que rester ponctuel. Ce confinement promet ainsi d’être un vrai challenge, aucun moyen d’enseignement à distance tels que Microsoft Office 365 ou d’autres plateformes n’ayant été introduits au préalable sur mon lieu de travail.
 
L’exemple le plus parlant de mon fonctionnement durant l’enseignement à distance est celui que j’ai adopté – d’entente avec mes collègues – dans la classe de 7ème année dans laquelle j’enseigne. En effet, bien que le système mis en place par leur maître de classe avec mes élèves de 10ème année se rapproche de celui que je vais décrire ici, la transmission des informations se devait d’être particulièrement claire pour la classe de 7ème année, d’une part en raison de leur âge, d’autre part parce qu’un certain nombre des élèves de cette classe présentent des troubles autant au niveau des apprentissages que de la logistique. Ce sont ces élèves qui sont le moins à l’aise avec leur organisation hebdomadaire et quotidienne, ainsi que les moins indépendants vis-à-vis du travail à effectuer et vis-à-vis de l’utilisation des plateformes informatiques. Ils sont ainsi les plus à même de représenter les défis qu'a constitué pour moi le passage à l’enseignement à distance, c’est donc sur eux que je concentrerai ici mes observations.
 

Anticipation
 
Très vite, la réflexion que j’ai menée au sujet de ma nouvelle planification a eu comme point central le bien-être de mes élèves et de leurs familles : ceci m’a tout de suite semblé être la priorité absolue sur toutes les autres considérations pédagogiques. Cette conviction n’a bien sûr pas empiété sur les apprentissages que j’ai souhaité proposer à mes élèves, mais m’a plutôt servi de fil rouge dans la conception de mes planifications. Ce bien-être m'a semblé passer par différents canaux, soit, entre autres : le maintien pour les élèves d’un lien avec leur vie scolaire, le renforcement des savoirs déjà abordés plutôt que la poursuite coûte que coûte du programme « classique » et l’autonomisation des élèves afin d’une part, de continuer à les accompagner dans l'apprentissage de cette faculté essentielle à leur parcours scolaire, d’autre part dans le but de soulager les familles autant que possible de la charge de l’enseignement à distance.
J’ai donc tenté de privilégier un accès aux enseignements scolaires le moins stressant, le plus simple et dynamique possible. En partant du principe que j’ignorais le climat familial auquel mes élèves allaient devoir faire face pour une durée incertaine, il m’a semblé que les tâches proposées ne devaient pas risquer d’alourdir celui-ci, mais d’au contraire donner l’opportunité de parfois l’alléger.
 
Dès les premiers jours du confinement est apparu un problème majeur dans l’accès des élèves aux moyens d’enseignement. En effet, tous n’avaient pas d’ordinateur chez eux et bien que mon établissement ait rapidement mis en place un système de prêt des ordinateurs portables de l’école, tous les élèves de ma classe n’étaient pas dotés d’outils informatiques avant la fin de la deuxième semaine de confinement. De même, la plupart de mes élèves n’ont eu accès qu’au seul ordinateur de la famille durant toute la durée du confinement, alors que leurs deux parents ont eux aussi dû passer au télétravail.
Ces deux contraintes ont donc rapidement imposé deux éléments organisationnels : premièrement, le travail devait pouvoir se faire sans un accès continu aux ordinateurs. Deuxièmement, les contacts avec les élèves n’allaient pas pouvoir s’établir de manière directe aux horaires habituels de cours, ceci dans le but de laisser suffisamment de flexibilité à chaque famille pour son organisation. Seule ma collègue maîtresse de classe a donc maintenu un contact via téléphone ou skype une fois par semaine, afin de suivre l’évolution autant des apprentissages que des situations familiales.
A cela vient s’ajouter que nous nous sommes rapidement aperçus que l’imprimante n’était pas un outil envisageable, étant donné que le prix des cartouches dépassait largement le budget de la plupart des familles de mes élèves et qu’il devenait de toutes manières de plus en plus difficile de s’en procurer.
J’ai donc dû réfléchir à concevoir un enseignement paradoxalement basé sur des outils informatiques qui repose le moins possible sur leur utilisation. J’ai ainsi choisi de proposer à mes élèves une manière de travailler ainsi que des activités qui puissent se faire en dépendant au minimum des écrans – ou qui puisse du moins être accessible sur l’écran d’un smartphone – ceci d’autant plus que j'anticipais que les heures d’exposition aux écrans de certain de mes élèves risquait d’augmenter de manière significative dans les semaines à venir.
 
Cette manière de faire a rejoint les discussions avec les maîtres de classes, au fonctionnement desquels j’ai dû m’adapter afin de proposer aux élèves une voie unique de transmission des informations, toujours dans l’idée de leur rendre la tâche la plus aisée possible. C’est donc en accord avec la maîtresse responsable de la classe de 7ème année dans laquelle j’enseigne que nous avons décidé d’utiliser une Dropbox comme boîte de dépôt pour les consignes et le matériel nécessaires aux élèves. Ma collègue, qui a peu d’aisance en informatique, songeait tout d’abord à fonctionner par simples échanges de mails avec les parents. Il m'a semblé que cette dernière option serait vite devenue une source de brouillage et de stress plus qu’une aide à l’organisation, ce dont j’ai facilement pu la convaincre. J’ai ainsi volontiers pris en charge la mise en place de la dropbox et les quelques téléphones aux parents nécessitant un peu d’assistance.
 

Pédagogie
 
Autant dans la collaboration qui s’est rapidement mise en place avec mes collègues que dans notre volonté commune de préserver au mieux les élèves et leur entourage du stress occasionné par le moment particulier que nous vivons, le numérique a donc dès le départ été considéré comme un outil dont le rôle devait être de venir soutenir l’humain. C’est l’outil que nous avons choisi d’adapter aux multiples conditions sociales auxquelles nous avons dû faire face, et non le contraire.
Dans mon souhait d’accompagner au mieux les élèves dans leur traversée de cette épreuve tout en leur permettant de garder un contact positif avec l’enseignement, j’ai notamment choisi – tout en leur laissant le rôle d'utilisateurs des outils informatiques mis à leur disposition que je détaillerai par la suite – de les rendre producteurs de réalisation concrètes, physiques, palpables. Les activités proposées ont, entre autres et en écho au programme d’allemand, consisté en la réalisation d’une recette de cuisine par semaine, intitulée « Das Rezept der Woche », transmise tous les lundis au format PDF. Leur utilisation de l’outil numérique est donc restée ici relativement restreinte, puisqu’elle a consisté pour les élèves à télécharger un fichier et à me transmettre par mail ou téléphone une photo de leur réalisation culinaire.
 
 
Planification, déroulement et évaluation.
 
Comme mentionné plus haut, le choix de la plateforme de transmission des informations s’est porté sur l’utilisation d’une Dropbox, qui présentait des avantages certains : premièrement, celui d’être déjà un outil familier à la plupart de mes collègues. En effet, si la mise en place d’outils informatiques pour l’enseignement à distance a dû prendre en compte les différentes contraintes des élèves et de leurs familles, elle a également dû s'adapter aux difficultés informatiques de certains de mes collègues intervenants dans cette classe. Deuxièmement, un grand nombre des parents d’élèves possédaient déjà un comte sur cette plateforme et étaient eux aussi familiers avec son utilisation. Troisièmement, la Dropbox nous a donné l’opportunité de proposer une organisation claire du travail de la semaine, ce qui a permis aux élèves de rapidement devenir indépendants dans son utilisation. En effet, chaque dimanche soir, les élèves recevaient le programme de la semaine préparé en amont avec tous les enseignants intervenant dans la classe : celui-ci se présentait sous la forme d’une page au format PDF sur laquelle était indiqué le travail à réaliser pour chaque matière sous chacun des jours de la semaine, à la manière d’un agenda (voir l'exemple en fin de cet article). Cette répartition du travail était indicative et servait à seconder les élèves ayant les plus grandes difficultés d’organisation. La Dropbox offrait alors un dossier par semaine (dont le titre consistait en la date de celle-ci), lequel contenait 5 dossiers correspondants chacun à un jour de la semaine. Le travail était ensuite déposé pour les élèves sous les jours correspondants à la planification (voir l'exemple en fin de cet article).
Un quatrième avantage de la Dropbox – qui rejoint celui de la plateforme Quizlet sur laquelle j’ai proposé à mes élèves de réviser leur vocabulaire – est la possibilité de l’installer sur n’importe quel smartphone, ce qui permet d’y lire directement les documents PDF contenant les consignes, sans passer par l'ordinateur. Les exercices sous forme de fiche que j’y ai parfois proposés pouvaient donc être affichées sur un téléphone ou un ordinateur, puis soit être réalisées dans le cahier – suite à quoi une photo m’était envoyée par email ou par téléphone – soit être directement annotées sur le PDF et retournés par email. Bien que je n’aie pas eu de contact de manière simultanée avec tous mes élèves, j’ai donc eu de nombreuses occasions de répondre à leurs questions et de réguler leur travail. Cela m’a en outre permis de développer un plus grand nombre de relations en « one to one » avec mes élèves et de leur proposer par là des pistes de régulation plus individualisées, ce qui est moins aisé dans la forme de l’enseignement classique où toute la classe est présente. Ce format m’a également laissé l’opportunité de produire pour certains élèves des régulations par message vocal ou par commentaire direct sur la photo reçue, en fonction de ce que je jugeais le plus à même de le soutenir dans ses difficultés.
Les corrigés étaient ensuite déposés le vendredi matin sur la Dropbox et cette journée était consacrée à la correction des exercices en complément des régulation individuelles fournies durant la semaine.
 
Après les premiers temps du confinement, n’ayant pas eu de contact avec certains élèves, j’ai cherché à les joindre afin de m’assurer que le travail fourni pouvait être fait et que l’élève ne rencontrait pas de difficultés que je n’aurais pas anticipées. Certains élèves n’ont pas pu être joints, c’est alors la maîtresse de classe qui a pris le relai, ces difficultés ayant déjà été présentes à plusieurs reprises avec les élèves en question. J’ai cependant été agréablement surprise de constater que, malgré le fait qu’ils ne se soient pas systématiquement manifestés (envoi de photos de leur travail), les autres élèves avaient effectué le travail avec une certaine régularité.
Après discussion avec eux et afin de permettre une meilleure organisation et une meilleure anticipation du travail de la semaine, j’ai adapté mon fonctionnement initial : j’ai alors déposé au plus tard chaque lundi matin l'entier des documents de la semaine – à l’exception des corrigés qui étaient déposés le vendredi matin – et j’ai indiqué sur la planification de la semaine le temps approximatif qui devait être consacré à chaque activité. De plus, afin de garantir que le contenu de la Dropbox ne puisse être supprimé ou modifié par inadvertance par les élèves, j’ai réduit leurs droits d’accès à la simple consultation des fichiers.
 

Education aux médias
 
De retour en classe, j’ai pris un moment avec chacune des demi-classes pour discuter des points positifs et négatifs qu’ils retiraient du fonctionnement mis en place durant le confinement. Si les recettes de cuisine et l’organisation semainière de la Dropbox ont fait l’unanimité, ce n’est par exemple pas le cas de la plateforme Quizlet : certains élèves ont en effet rencontré des difficultés d’utilisation, que j’interprète au vu des descriptions qu’ils m’en ont donnée comme étant des problèmes liés à la surcharge momentanée de ces plateformes durant le confinement. Cependant, la presque totalité de mes élèves présentant des troubles DYS étaient ravis d’avoir pu approfondir leur connaissance de cet outil, auquel ils se sont familiarisés au cours de ces dernières semaines. Ceci, comme également par exemple l’annotation de fichiers PDF, est un bon exemple des points positifs à retirer du système mis en place durant le confinement, puisque cela a permis aux élèves de s’approprier des outils informatiques dont ils pourront faire usage tout au long de leur parcours scolaire. La Dropbox a par ailleurs continué à être utilisée depuis le retour en classe, soit pour transmettre des documents à des élèves absents durant le long processus de déconfinement, soit pour mettre à disposition de la classe des documents complémentaires au matériel abordé en présentiel.
 

Limites
 
Pour conclure, le recul que j’ai pu prendre suite au déconfinement et les expériences que j’ai faites durant celui-ci me permettent d’identifier certaines limites aux choix que j’ai faits quant à cet enseignement à distance. J’ai d’une part pu constater la fragilité de l’utilisation d’une Dropbox commune par un grand nombre de personnes, en ceci que son contenu risque à tout instant d’être altéré, soit par des élèves – ce que j’ai pu corriger en modifiant leurs droits d’accès – soit par des enseignants peu à l’aise avec les outils informatiques. D’autre part, une autre limite de la Dropbox, bien qu’elle présente les avantages d’une grande simplicité et d’une grande clarté pour la transmission de documents, est son manque d’interactivité : elle ne peut évidemment ni remplacer, ni même palier temporairement à l’absence de contact humain et doit donc être complétée dans son utilisation par des échanges d’emails, de messages ou par des appels téléphoniques. En outre, une troisième limite – qui touche cette fois-ci moins les élèves que les enseignants – est que cette façon de recevoir et réguler le travail demandé, bien qu’elle permette une grande réactivité est aussi très envahissante et ne contribue donc pas à alléger la charge mentale des enseignants.


Annexes
1) Exemple de planification de la semaine telle que reçue par les élèves en début de confinement

2) Ci-dessus: exemple d'organisation de la Dropbox commune aux élèves de la classe 7P2.